Un piège imparable

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PDV Ecclésia

— Il faut qu'ils paient ! s'enflamme Evan. C'est eux, les responsables ! C'est eux, les voleurs ! Les Humains !

Je quitte le plafond du regard, dont un mince orifice laisse filtrer un trou de lumière.

— Hé, je peux savoir ce que tu nous fais ? Il me semble que tu appartiens à cette saleté d'espèce, alors calme un peu tes ardeurs et aide-nous à les retrouver, le sermonne Kyra en l'attrapant par le col.

Il se dégage, furieux, et percute un objet du bout du pied. De vieux débris jonchent le sol, autrefois constituants de bibelots et de cruches antiques. Mal à l'aise, l'homme déglutit. D'un doigt tremblant, il remonte ses lunettes sur l'arête de son nez, comme pour se redonner une contenance.

Ce retour au calme me permet de me recentrer sur le Prince. Les mains croisées dans le dos, j'adopte une posture similaire à la sienne, et m'applique à fixer la même cloche en verre que son regard vide.

— Vous vouliez le tuer, lâche-t-il platement, au bout d'une minute de silence. Comment vous y seriez-vous prise ?

Il ignore mon coup d'œil en biais suspicieux. Je le contourne alors puis plie les genoux dans l'optique de ramasser son épée, gisant à ses pieds.

Comme chaque fois, les reliefs finement taillés de l'arme suscitent ma pleine admiration. Ses courbes dorées témoignent d'une précision à couper le souffle, et contribuent à élever sa beauté chimérique au rang de joyaux mythiques. 

Nul doute, Mordret y a mis tout son cœur, pensé-je crûment.

Le métal est lourd. Assez pour réduire d'une bonne vingtaine de pourcents la puissance de mes frappes. J'entreprends toutefois de le faire virevolter entre nous, tranchant l'air infecté par la sournoise présence d'une déception virale.

L'épée semble chanter. Des sifflements, discrets, similaires à la langue du serpent, se posent à l'entrée de mes oreilles pour me susurrer un air entêtant. Je réponds en termes de gestes vifs, rapides, de plus en plus brusques, en fonction du pouvoir séducteur que l'arme exerce sur moi. Un dialogue s'installe, plus aigu à mesure que je distille ma force dans une suite de figures hasardeuses.

Mon agitation a le mérite de capter le regard éteint du Prince. Le métal se mue en ligne grisâtre et scintillante, qui trace un passage éphémère dans les airs. Sentant bientôt le souffle me manquer, je termine la démonstration en enfonçant la pointe dans le pavé. Un craquement retentit, puis, immobile, j'observe son verre exploser en centaines de morceaux transparents.

— Comme ça.

Cette fois, ses yeux brillant de malice me fixent avec attention.

— Vous n'êtes personne, murmure-t-il enfin. Tout le monde est réduit au statut de « personne », face à lui, précise-t-il en me débarrassant d'un bout de verre accroché à mes cheveux.

— Vous ne représentez pas plus, à ses yeux. Ce qui, apparemment, ne vous empêche pas de guetter la possibilité d'hypothétiquement devenir le quelqu'un de cette pourriture.

La moue qui chiffonne ses lèvres rend compte de la complexité de la problématique. Quand bien même cette immondice de père lui aurait menti à propos de sa mère, quand bien même ce même père l'aurait torturé des années durant, une part de lui continue à courir derrière ce but insensé. Après tout, ne déconseille-t-on pas l'arrêt brutal d'un sprint ? N'est-il pas préférable de ralentir progressivement, afin de laisser son corps s'adapter au changement de rythme et préserver la santé de son cœur ? Et lorsque l'on a passé des siècles à viser une seule et unique ligne d'arrivée, peut-on si facilement s'en détourner ?

Cœur de flamme (Tome 2)Where stories live. Discover now