19 - Ok Corral.

14.3K 1.8K 370
                                    

*** Point de vue de Shaun ***

Trois ans, je n'ai tenu que trois ans sans elle et je me demande encore comment j'ai réussi. Enfin si, grâce à son oncle qui a fait tout ce qu'il a pu pour me garder la tête hors de l'eau, ou de la bière plutôt. Mais j'ai fini par sombrer et me remettre à boire parce que sans elle, je me sens vide et inutile, et j'ai mal, ça me broie de l'intérieur. Alors qu'après avoir bu, je ne suis plus que vide, alors c'est moins dur à supporter. Comme si ça ne suffisait pas que je sois un débile, je suis maintenant un lâche, incapable d'affronter ma misère intellectuelle et mon manque d'elle, j'ai choisi la facilité, l'oubli dans l'alcool. Sans elle, je suis bancale, instable, alors j'utilise la béquille la plus simple.

Je suis devenu le pauvre mec de la ville, celui que l'on voit s'enfoncer et à qui on a tellement tendu la main, que l'on finit par laisser tomber, on se contente d'attendre le moment où il finira par crever de ses conneries. Depuis deux ans, j'ai de plus en plus souvent le souhait que ce soit le cas, que je crève pour arrêter de souffrir.

Son oncle a beau me dire qu'elle reviendra, plus le temps passe et moins j'y crois. Elle doit être devenue quelqu'un de bien, de respectée, peut-être même aimée par un autre homme, l'enfoiré ce mec. J'ai arrêté de me leurrer, même si elle revient, ce sera pour retrouver quoi ? Un type qui fait pitié et peur, dont on n'ose plus s'approcher.

Il faut dire que j'ai tout fait pour en arriver là. Ma violence et mon goût pour les coups que je prends ont fini par les rebuter. C'est ma façon d'exprimer mon mal-être, c'est ce qui me fait le plus de bien parce que la douleur physique m'aide à oublier celle dans ma tête, et surtout, elle me rappelle que je suis vivant.

Tout s'est tellement mélangé dans ma tronche que je ne sais plus si je veux que Lila rentre ou pas. Si je dois la voir me repousser, de dégoût sans aucun doute, pour comprendre que c'est définitivement perdu entre nous. Parce que fini, ça ne le sera jamais, c'est bien ma seule certitude, je n'en aurai jamais fini avec mon amour pour elle. Est-ce que j'arriverai à vivre en la sachant inaccessible pour toujours, ou bien ce sera encore pire, ma chute vertigineuse vers l'enfer ?

En attendant, comme presque tous les soirs, je me morfonds seul devant ma bière. Je suis au Joey's, sur la table la plus éloignée de la terrasse, sur le banc qui est devenu ma place et que plus personne n'ose prendre, et on garde ses distances. Il n'y a que quelques mecs qui le font encore, mes potes de conneries et de beuverie, et de bagarre puisqu'ils aiment ça autant moi. Mais en pote, je n'en ai plus qu'un, Josh. Chaque ville a ses sales types, ceux que l'on évite, que l'on retrouve toujours à la même place, devant le même verre et bien souvent dans le même état pitoyable. Eh bien à Burlington, j'en fais partie.

Ça a son avantage d'être craint de cette manière, on me fiche la paix, on me laisse dans mon coin. Les filles aussi nous évitent et il vaut mieux, je ne les supporte plus. De toute façon, il n'y a bien que Lila que j'ai toujours aimé avoir près de moi, les autres me gonflent. Alors ne plus en avoir qui me rôde autour, c'est une bonne chose et ça leur évite de se manger des revers de ma part. Ma main me va très bien et elle ne me fait pas chier quand elle a fini son boulot.

Ma vie est aussi nauséabonde qu'une fosse septique. Je me lève le matin avec la gueule enfarinée de ma biture de la veille, je bosse toute la journée, je mange quand j'ai le courage de me faire à manger, je me lave quand je pue trop, et le soir, je vais me saouler au Joey's, à pied, ça c'est le seul truc que je fais de bien, ne jamais prendre le volant.

Je me bats dès que j'en ai l'occasion, j'aime trop ça, alors j'ai la tronche en biais une semaine sur deux. Quant à ce qui me sert de baraque, une vieille bicoque pourrie que j'ai trouvée parce que mon père m'a foutu à la porte, c'est un dépotoir. Une décharge et je n'en ai rien à foutre, puisque je suis une merde, c'est parfaitement ma place. Si j'y crève, ils n'auront qu'à y mettre le feu, ça débarrassera tout en même temps.

En secret (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant