Le jour où Mark laissa tomber son stylo

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Quelques vagues.

Mark était maladroit. Un petit peu maladroit. Il l'avait toujours été, il y avait dans chacun de ses gestes, de ses mouvements, un empressement bienveillant qui le poussait à bousculer ses actions, rendre chaotiques ses déplacements et ses initiatives. Un jour, sa mère agacée, l'avait emmené chez quelqu'un, qui portait une blouse brodée d'un ourson en salopette. Mark n'avait pas trop aimé, il n'avait rien compris. Cela avait été sa première histoire ; il s'en serait passé.

La pluie d'octobre avait détrempé le bitume. Un rai obscur de lumière, cette lumière douce qui annonce l'hiver lentement s'approchant, ondoyait entre les graviers, qu'il perlait d'une humeur éclatante. Il était un petit peu plus de huit heures, le jeudi. 

Le bruit irrégulier de semelles qui frappent sèchement dans les flaques. Quelques encyclies s'ouvraient à leurs bouts. La journée venait de commencer, Mark était déjà épuisé, son souffle était court, rauque, formait un petit nuage velouté dans l'air frêle du matin. Il appuya ses deux mains sur ses genoux, prit un instant pour recouvrer ses forces. L'heure était déjà passée. Le voici en retard, et il avait couru. Il aurait pu s'en épargner l'effort. Mark pensa qu'il aurait dû conserver une certaine aigreur vis-à-vis de lui-même ; il n'en fit rien, s'avança seulement vers le hall jonché de feuilles mortes et de boue brunâtre.


Dans la classe. 

Mark avait le regard perdu. Le professeur n'avait pas relevé son retard. Mark suivait d'un air désabusé, en jouant avec son stylo, les mouvements emphatiques du professeur, qui agitait les mains en tous sens, comme si une chorégraphie compliquée pouvait expliquer mieux son affaire de suites arithmétiques. 

La classe était ailleurs. Au premier rang, plusieurs élèves qui avaient déjà compris portaient dans leurs yeux une admiration toute fausse qui encourageait le professeur dans son spectacle ; quelques autres le regardaient tout autant, en se demandant quel mystère de l'univers ils avaient manqué à la naissance pour n'y rien comprendre à un tel point. Ces derniers affichaient un grand sourire irritant. 

Mark était au deuxième rang, il appartenait un peu aux deux catégories à la fois : il avait l'impression de manquer un mystère des plus importants de l'univers, et jouait négligemment avec son stylo depuis qu'il avait achevé, avec succès il en était sûr, les trois exercices demandés par son professeur. Et deux de plus, pour s'occuper.


Le stylo tombe.

Mark pesta doucement, d'une voix sifflante. Juste afin qu'il s'entendît lui-même, afin qu'il jouît de sa propre colère et en retirât une forme incertaine de satisfaction. En réalité, personne n'avait prêté attention à ce bref mouvement d'humeur, alors qu'il se penchait avec une infinie délicatesse pour récupérer son stylo.

Il le fit d'abord doucement rouler du bout de ses doigts, sur le carrelage froid, un carreau parcouru d'une fissure. Petit bruit métallique. Mark cueillit le style au creux de sa paume, sa main se referma dessus, comme pour bien juger de toute la réalité de son geste. Il se redressa.


Précisions utiles quant à la disposition effective de la classe.

La classe était assez grande. Beaucoup trop grande pour le nombre d'élèves qu'elle était censée accueillir. Mark toqua doucement à la porte, bien que ce fut inutile. Par les baies vitrées qui couraient tout le long de la salle, le professeur avait suivi sa démarche nonchalante d'un air désapprobateur, mais sans pouvoir s'empêcher un sourire muet, involontairement adressé, et que Mark avait saisi du coin de l'œil. 

Aussi les trois coups discrets à la porte furent à peu de choses près précédés par une invitation laconique. Mark ouvrit la porte, présenta quelques excuses impersonnelles, referma la porte, se dirigea vers son bureau, s'assit alors que le professeur l'enjoignait de regagner aussi rapidement que possible sa place, sans sembler remarquer que Mark y était déjà rendu. Politesses.


Deux regards.

Mark s'était arrêté. Il s'était arrêté d'un coup, en avait presque oublié de respirer. Ce n'était pas une expérience commune, il fallait dire. Il s'agissait même de la première fois.

De l'autre côté du couloir, séparé par deux baies vitrées, un autre garçon avait plongé son regard dans ses yeux. Un regard brun et perçant, non pas étonné mais plutôt moqueur. Il brandissait un style dans sa main droite, comme un miroir de Mark. Par symétrie inverse. 

Mark laissa tomber son stylo, qui rebondit à grand bruit sur le sol. Le garçon éclata de rire. Leurs professeurs respectifs, d'une même voix, les reprenaient en les incitant au calme et au silence. Ils détournèrent le regard, acquiescèrent. Politesses. 

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant