Ce qu'il se passa également le premier jeudi

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Nuit noire.

Mark était dans son lit, ses draps étaient rabattus sur son torse nu et se soulevaient à un rythme régulier. Il fixait d'un air absent le plafond de sa chambre. Mark était tranquille désormais, bien que la faim lui tordît le ventre et lui arrachât, en sus de grimaces inconfortables, des frissons contestataires qui parcouraient son corps. Il ferma les yeux, prêta l'oreille aux bruits doux de la nuit, laissa simplement un filet ténu de lumière pénétrer sous ses paupières afin que le monde autour de lui gardât un semblant de réalité. Car Mark ne voulait pas céder au sommeil.

Il fit plusieurs fois l'effort, tandis qu'il avait lutté longtemps contre cette idée un petit peu plus tôt, de former dans son esprit fatigué son image. Son visage, son expression tels qu'ils lui étaient apparus depuis sa place, dans la salle, à l'instant même où ils s'étaient croisés, reconnus. Mark avait l'impression de le connaître depuis toujours, comme s'il avait préalablement fait partie d'un espace intime, secret et inconnu, dérobé à la vue de tous et à sa vue même, jusqu'à ce jour, cette nuit. 

Mais Mark avait beau lutter, lutter encore, le visage était inlassablement soufflé par un écart de son esprit épuisé, s'égrainait comme de la poussière scintillante dans le vide brumeux de sa tête. Seuls demeuraient toujours son regard, sa bouche pleine, surtout. Pleine. Et tendue vers lui.

Mark se retourna brusquement, se cacha sous son oreiller qu'il abattit avec violence sur sa tête. 


Comment Mark a réussi à persuader sa mère de ne pas le questionner. 

La voiture venait de se garer et, au bruit des pas qui montaient les deux marches précédant la maison, ils n'allaient pas tarder à rentrer, à l'appeler, l'embrasser. La seule perspective de ce contact suffit à Mark pour qu'il se sentît mal. Il se dirigea plutôt vers le bureau où il s'assit calmement comme la porte de la maison s'ouvrait.

Au creux de sa main gauche, il inscrivit quelques mots. L'encre glissait sur sa peau moite, se diluait dans les plis minuscules de sa paume. Pourtant, avec force application, Mark réussit à former quelques lettres, puis des mots entiers, puis une phrase. 

Je veux être seul. 

Il prit garde à ne pas refermer sa main de sorte que le mouvement n'effaçât pas l'inscription. Et, de sa main droite, il ouvrit la porte de sa chambre d'un air résolu, glissa jusqu'en haut de l'escalier d'où il pouvait apercevoir, en bas, la lueur vacillante de la vieille ampoule de l'entrée, et les motifs démodés que l'abat-jour projetait sur les murs, le plancher, jusqu'aux premières marches maculées de poussière. 


Mark embrassant sa mère.

Il se présenta sur le seuil de la cuisine, comme s'il eût été désolé de sa simple existence. Sa mère s'affairait, rangeait quelques courses de dernière minute dans des placards qui étaient trop hauts pour elle. Mark aimait à croire qu'il était encore trop jeune, trop petit pour l'y aider ; aussi avait-il pris l'habitude de rester ainsi, immobile et discret, dans un coin de la cuisine pour mieux détailler chacun de ses mouvements, l'habitude dans son regard qui ne cherchait plus les poignées des placards, la grâce étrange qui parcourait son corps usé. 

Une fois qu'elle eut finit, elle se retourna, lui sourit doucement d'un sourire fatigué et rassurant. Mark plongea lentement dans ses bras bienveillants. Et tandis qu'elle se penchait sur lui pour baiser son visage, Mark glissa sa main contre son regard, de sorte qu'il recouvrît tout à fait ses yeux, qu'elle ne vît plus que l'obscurité de l'encre. Ses lèvres s'échouaient sur la joue chaude de Mark qui sentit les cils de sa mère battre d'acquiescement dans le creux de sa paume. 

Alors, il se dégagea et elle ne retint pas le bras qu'il laissait pourtant en arrière. Sa mère resta seule sur les carreaux froids de la cuisine en souriant doucement cependant que Mark, comme à son habitude, sautait les premières marches de l'escalier en s'appuyant à la rampe.


Il est minuit.

Mark n'arrivait pas à trouver le sommeil. Plutôt, il ne cherchait pas le sommeil : il attendait avec une patience intrigante une heure particulière dont il n'avait encore aucune idée, comme s'il s'agissait là d'un détail sans grande importance. 

En bas, l'horloge du salon sonnait minuit ; elle avait toujours quelques minutes de retard. Mark examina sa situation, car il hésitait toujours à commettre ce qui lui semblait une fantaisie honteuse, sinon un jeu obscène et déluré. Comme pour mieux s'assurer de la motivation qui l'animait, il passa le bout de ses doigts sur ses lèvres. Puis, ayant palpé avec attention et douceur sa bouche, il porta à son visage la feuille qu'il avait pris le soin de défroisser au mieux ; et l'embrassa doucement, avec beaucoup de pudeur et en fermant les yeux. 

Puis Mark se recroquevilla soudain, jeta la feuille au bas de son lit, et fit mine de s'endormir presque aussitôt. Pourtant, son regard fiévreux brillait doucement dans la nuit.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant