Deux disparitions

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Il y a très longtemps. 

Mark s'amusait du son que produisaient, lorsqu'il sautait, ses semelles sur le pont de bois. Il fixait avec une excitation intrépide, comme pour bien s'assurer qu'il en avait le droit, sa mère qui avançait doucement par le chemin ombragé, bordé d'arbres dans lesquels elle disparaissait. D'une main, Mark se tenait à la rambarde, son visage était joufflu, comme celui des enfants qui se sentent sages et responsables. Sa mère, tandis qu'elle émergeait dans la lumière, réprima un sourire avec grand peine. 

Elle s'immobilisa quelques mètres avant le pont ; tendit la main vers lui, ouverte. On allait rentrer, il se faisait tard et le vent du soir, qui était encore froid malgré le printemps naissant, commençait à se lever. 

Mark comprit et, avec une détente formidable, sauta une dernière fois avant de se précipiter, les jambes jetées devant lui comme s'il eût à chaque foulée manqué de tomber. Le pont était un petit peu abrupt, et glissant comme l'eau passait proche du bois, mais Mark avait l'habitude. Et s'il moulinait l'air de ses petits bras, il parvenait, comme par miracle, à maintenir son équilibre. 

Puis il eut un mouvement plus vif alors que Mark était revenu sur le chemin, et on entendit un bruit sourd dans l'eau. Il se retourna vivement. Un peu d'eau éclaboussa ses joues. 


Pourquoi Mark avait insisté pour emmener son ours.

Mark ne voulait pas sortir. Il était enfoncé dans le canapé et disparaissait presque sous des couvertures. Seuls dépassaient ses deux yeux et son nez. Sa mine était à moitié renfrognée, à moitié amusée. Il suivait du regard sa mère qui s'avançait vers lui doucement, et elle s'assit à ses côtés en l'enserrant de ses bras pour éviter qu'il ne s'enfuît.

Il remua un peu mais abandonna rapidement la lutte. Il avait l'énergie du jeu et protestait simplement pour la force, pour entretenir pour un temps encore la sensation délicieuse de proximité, de complicité qui le réchauffait. 

Puis, Mark se posa contre le sein de sa mère, ferma les yeux comme pour mimer l'enfant endormi. Mais sa mère ne s'y trompa pas : après l'avoir laissé reposer quelques instants, calme, elle le secoua et le tira, par la main qui dépassait des couvertures enchevêtrées, du canapé. Une fois debout, elle le découvrit des couvertures et lui sourit. Mark consentit à la suivre ; il tenait son ours avec un air décidé. 


Mark regardant son ours. 

L'ours tournait, tournait, tournait sur lui-même. Mark s'amusait à cligner des yeux. Une fois, il voyait sans reflet dans le petit hublot ; une fois, il observait la mousse, l'écume tempétueuse qui se jetait comme un monstre affamé sur sa peluche, sa peluche qui tournait, tournait, tournait de plus belle. Il sembla à Mark que cela faisait plusieurs heures déjà qu'il était ainsi posté, alerte, devant la machine ; et son amusement ne tenait plus que de la simple formalité. Comme une ancre pour éviter de sombrer dans la panique.

L'ours disparut sous une vague de mousse. Il resta plusieurs secondes immergés et Mark, durant tout le temps où il se déroba à sa vue, retint sa respiration, comme s'il s'eût trouvé lui-même au milieu d'un océan inconnu et inquiétant, en train de lutter contre les avancées victorieuses et puissantes des vagues. Puis l'ours reparut, et le même manège recommença plusieurs fois ; et chaque fois, l'ours semblait un petit peu différent, comme si l'écume lui enlevait quelque chose, lui arrachait une partie de lui-même. 

L'ours était étendu sur le fil. Deux pinces à linge le maintenaient par les oreilles et lui donnaient un curieux air de hibou. Mark tenta de décider s'il pouvait reconnaître quelque chose dans cette forme gluante et indistincte qui se balançait doucement au gré de son regard. Il se résolut à n'y rien reconnaître et se détourna d'un pas leste et faussement sautillant. 


Disparition.

Quelques gouttes de pluie glissèrent sur sa joue humide. L'air était sombre, épais. Un courant poisseux, fait de mots murmurés et de formules toutes faites, se faufilait entre les parapluies noirs. Il ne se trouvait pas exactement sous le parapluie, car sa mère, secouée par de curieux mouvements qui engageaient tout son corps, ne cessait de le repousser à son extrémité. Pourtant, elle était incroyablement calme. Il y eu un coup de tonnerre lointain, la pluie redoubla et s'écoulait de plus belle le long du parapluie, jusque sur son visage tourné vers le ciel. Personne ne vint le consoler, personne ne vint lui dire de ne pas craindre l'orage, personne ne vint glisser sa main dans la sienne. 

Alors, de sa petite main, Donghyuck essuya seul la pluie qui trempait son visage.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now