Rêve I

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Mark ouvrit les yeux et il était dans un endroit étrange et familier qu'il ne reconnaissait pas. 

Il marcha longtemps sur le bitume mouillé sans sentir l'effort de ses chaussures dont les semelles fondaient à grosses gouttes. Mark n'était pas fatigué ; il avait l'habitude de marcher ainsi, longtemps, très longtemps sous le soleil de plomb qui était si éblouissant dans le ciel qu'il renonça à le regarder. 

Lorsqu'il arriva à proximité de plusieurs bâtiments, il s'arrêta. Mark fut assez troublé par leur présence, car ils obscurcissaient le ciel ; non pas qu'il regretta le trop fort éclat qui le contraignait à plisser les yeux, mais désormais qu'il pouvait les maintenir ouverts, le monde n'avait plus la courbure forcée, poétique que lui imprimait le mouvement fébrile de ses paupières luttant contre le trop plein de lumière. Il lui fallut plusieurs secondes, peut-être plusieurs minutes pour recouvrer ses esprits et, ayant patiemment examiné la vue qui s'offrait à lui, décida qu'il convenait de douter de la réalité de toutes ces choses, de toutes ces formes qui s'amassaient dans son œil au bord de la nausée.

Puis, soudain, Mark remarqua qu'il se trouvait face à un mur. Son nez touchait presque le ciment décrépi qui s'arrachait par lambeaux entiers à chaque coup de vent. Il tenta de poser sa main pour en tâter la surface mais, bien qu'il s'y reprît à plusieurs fois et avec beaucoup de calcul et de précaution, il ne parvint pas même à l'effleurer. Mark en retira un sentiment sincère et nouveau de surprise, et sa curiosité fut immédiatement piquée à vif. En fait, après avoir poursuivi un temps ses observations, après avoir aussi laissé courir son regard plus loin, puis plus proche et jusqu'à ses pieds, il conclut que le mur devait se trouver au moins à une vingtaine de mètres ; et en comparant cette distance à la longueur de son bras, il lui sembla éventuel qu'il ne pût effectivement l'atteindre. 

Alors que Mark s'apprêtait, dans un excès de zèle, à réitérer l'expérience pour valider son raisonnement, il aperçut un homme pourvu d'un instrument inédit, sur le côté de la route. Il brandissait dans sa main droite une longue perche dont l'extrémité brillait et claudiquait péniblement, en oscillant avec emphase tantôt à gauche, tantôt à droite, comme si le monde sous ses pieds eût été saoul. Mark éprouva un certain sentiment de fascination à son égard qui le détourna tout à fait du mur. Il entreprit de se rapprocher de cet étrange personnage pour affiner le sentiment qui poignait en lui.

L'homme était assez vieux et franchement laid. Ses traits tombaient, se repliaient à l'infini sur eux-mêmes en une multitude de plis et de replis. Pourtant, loin d'éprouver du dégoût, Mark ressentit une intense chaleur le parcourir. L'homme paraissait ne pas l'avoir encore remarqué et vaquait avec constance et application à ses travaux. Il s'approcha péniblement d'un réverbère et Mark fut captivé par sa démarche gauche et trébuchante, par sa peau flasque qui bondissait et se balançait sur son visage. Cela lui donnait une impression de mouvement continu et absolu qui questionna beaucoup Mark sur la condition de son actuelle immobilité et provoqua en lui une vive inquiétude qui le poussa, en dépit de l'horreur que cela lui inspirait, à marcher vers lui alors qu'il avait cru ne pouvoir user que de son regard pour s'en approcher.

Mark était maintenant à une distance très raisonnable de l'homme. L'homme, quant à lui, était positionné très proche du réverbère ; et il leva plus haut encore sa perche ; et une lueur fulgurante illumina la rue. 

Ayant été contraint de fermer brusquement les yeux, Mark, face à l'obscurité, fut gagné par un vif sentiment de panique. Le soleil était tombé du ciel. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il constata avec beaucoup d'horreur que le ciel était désormais plongé dans un noir absolu et franc. Les bâtiments avaient disparu : il ne restait d'eux que des spectres blafards, tremblants, qui semblaient adresser des paroles inconnues à Mark ; et Mark se mit à courir. 

Mark courait dans la nuit, la nuit qui était dévorée de flamme, et le bitume fondait, à mesure qu'il courait, sous ses semelles de caoutchouc qui coulaient à grosses gouttes. Mark courait de toutes ses forces, se jetait en avant avec une rage nouvelle dont il se délecta comme il fuyait. Il posa enfin les deux mains, brutalement, sur le mur qui était délicieusement froid. La chaleur devenait insoutenable dans son dos. Puis, acculé, Mark enfonça ses ongles dans le plâtre craquelé et se hissa avec beaucoup de difficulté. Il progressa ainsi très lentement mais le feu, qui s'était massé au pied du mur, semblait incapable de le poursuivre. 

Lorsque Mark parvint enfin en haut du mur, il vit se balancer devant ses yeux un hameçon épais comme une main ; et, comme le mur venait d'accuser une secousse inquiétante, Mark s'y jeta, s'y cramponna. Il entendit le bruit discret d'un moulinet et il s'élevait dans le ciel. Il renonça à se saisir de plusieurs étoiles de peur qu'elles ne fussent brûlantes. 

Puis de l'obscurité émergea une ombre, une forme, un garçon. Il fixait avec beaucoup d'attention Mark et l'attira vers lui d'un geste vif ; et Mark tomba entre ses bras ouverts. La poitrine de se dernier irradiait une douce chaleur. 

Ses lèvres rencontrèrent celles de Mark ; et Mark se réveilla en sursaut. Il était à peine trois heures du matin.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now