Mark trébuchant à trois reprises

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Troisième fois.

Mark surprit, alors qu'il pressait le pas la température chutant, une ombre du coin de l'œil. Il ne sut qu'en faire. Quelque chose dont il n'avait aucun contrôle, qui lui faisait assez peur au demeurant, l'engageait à sursauter, à surprendre, dans les traits confus qui se dessinaient dans la pénombre, les signes d'une catastrophe en devenir, d'un présage mauvais et insidieux.

Puis la forme, à mesure que la nuit l'enveloppait mieux et lui donnait chair, gonflait, terrifiante, de contusions anormales, de figures mouvantes et envoûtantes, éternelles. Mark interrompit sa course, son souffle ne faisait presque aucun bruit dans la nuit tranquille. Comme la bête qui guette patiemment, de peur de se faire remarquer de la proie qu'il convoite depuis longtemps. Il ne clignait qu'à peine des yeux ; il y fallut un coup de vent glacé, un emportement soudain pour que ses paupières, bien qu'avec maints regrets, daignent se refermer, plonger Mark dans une obscurité parfaite et étouffante, qui regorgeait de craintes.


Et en effet.

Lorsque Mark rouvrit les yeux, recouvra la vue dans un brouillard comateux, comme après un long sommeil, si la rue était toujours aussi déserte, le vent aussi froid, la lumière aussi blafarde, l'ombre, quant à elle, avait disparu. 

Mark reprit avec résignation son chemin, repoussa d'un souffle dépité une mèche qui, lui semblait-il, courait avec trop d'impertinence sur son front. Du coin de l'œil, soudain, encore, une forme, plus nette encore. C'était lui.

Dans son empressement, sa panique, sa gorge se serra, le sang affluait à ses tempes, faisait rougeoyer ses joues paralysées par l'émotion et le froid. Mark, voulant presser le pas, se mit bientôt à courir, courir comme si sa vie, le monde, tout en dépendant. Comme si l'avenir se trouvait loin devant lui. Fuir, fuir d'un coup, le vent, le froid, la panique, et lui. Son ombre, fugace et vaporeuse, qui cueillait ses pensées, ses avant-bras frissonnant d'un pus nouveau, presque blanc, comme un peu de neige. 

Mark glissa. Le pied de Mark glissa. L'autre, emporté par sa course, buta contre la cheville torse qui ployait sous son poids. 


Mark observe un oiseau en faisant mine de ne penser à rien.

La pause méridienne venait de sonner. Tandis que tout le monde se ruait vers le réfectoire, Mark décida, ayant jeté un regard dédaigneux à la cohue qui s'amassait, fébrile, devant les portes qui vibraient sous la force de leurs revendications affamées, de se diriger vers le parc qui se trouvait dans l'enceinte du lycée.

Le parc n'en était pas véritablement un. Un soleil chaud et réconfortant inondait d'une lumière bienveillante l'herbe ordinairement maussade d'un parterre de taille modeste, entouré de grandes aires bitumées et bordée par trois bâtiments imposants de laideur. Trois arbres prolongeaient une ombre duveteuse du bout de leurs branches effeuillées. Entre deux d'entre eux, un banc en pierre, assez simple d'aspect, surplombait une petite butte haute d'un mètre à peine, mais qui dégageait une vue superbe sur le bleu infini et tendre des ciels d'automne. 

Mark s'y assit, s'apprêta à sortir un livre lorsqu'un mouvement étranger l'arrêta. 

Un oiseau, à quelques mètres du banc, tentait avec la frénésie coutumière de son espèce, de se saisir d'on ne savait quelle miette, ver ou insecte qui sans cesse lui échappait, éveillant à chaque instant un peu plus sa volonté persistante. Mark était comme un oiseau, il l'ignorait simplement. Par prudence cependant, il inspecta précautionneusement ses avant-bras, qui n'étaient recouverts que d'une humeur blanchâtre, et tout à fait dépourvus de plumes. Ce qu'il fit ensuite lui fut tout à fait inconnu.


Première fois.

Il était parti. Au tournant du couloir, là où l'on s'engageait dans l'escalier pour regagner le rez-de-chaussée, il avait disparu. Discrètement, Mark leva le nez de son téléphone puis, ayant vérifié à plusieurs reprises que personne ne revenait, qu'il était parfaitement seul dans le bâtiment désormais calme, rangea son téléphone, cette fois-ci en prenant garde de le placer dans la poche intérieure de sa veste et non dans la poche avant de son sac. 

La rumeur distante de la cour lui parvenait comme le bruit d'un monde lointain et inaccessible. Presque irréel. Il était dix heures, il y avait du monde, en bas, dehors. Mark ne pouvait saisir les voix qui perçaient le silence, qui ondoyaient à travers les couloirs désertés, comme une lame de fond, régulière, qui se fraie un chemin dans l'eau poissonneuse. Les bruits divers étaient les poissons, Mark le pêcheur. Il décida de doter chacun d'un sens qui lui conviendrait bien.

Soudain, on l'appela. La voix provenant de son dos. Mark fit volte-face, un air de panique masquait son visage, et il crut voir une silhouette, un sourire, particulier et pénétrant, qu'il rêvait de voir autant qu'il en redoutait le spectre.

Le professeur lui demanda simplement de s'écarter un peu du seuil, qu'il puisse passer, refermer la porte. Il souriait faiblement. Mark soupira d'un soulagement qui lui était tout inconnu. Politesses.


Deuxième fois.

On frôla Mark. Une main, lui sembla-t-il, avait tenté d'effleuré la sienne. Puis, s'étant ravisée au moment opportun, s'était écartée ; seul le souffle, l'aspiration tremblotante de son passage avait caressé ses phalanges encore tremblantes d'émotion.

Mark n'osa d'abord pas se retourner, poursuivre du regard, avec une rancœur particulière, bien qu'elle fût toute fabriquée, la main qui avait léché la sienne, fut-ce par le truchement d'un souffle bien ajusté. Il fut pris plutôt d'une nausée diffuse, une fébrilité maladive cueillait le creux de son ventre et irradiait vers ses cuisses. Ses paumes, tendues comme pour une prière, écumaient d'une rage indicible, aussi fine et belle que de la dentelle. 

Puis il osa. Il osa, il n'y avait personne. Une voix cependant susurra quelques mots que Mark ne comprit pas. Il se retourna vivement. Une ombre quelques pas plus loin eut juste le temps de voir ses jambes se mêler, de le voir mouliner comme un perdu l'air de ses mains implorantes, recouvrer son équilibre juste à temps. Lorsque Mark regarda mieux, sa respiration calmée, ses paumes retournées à leur calme ordinaire, il n'y avait plus personne. 

On entendait seulement la rumeur grouillante de la cour, et peut-être le chant faible d'un oiseau au loin.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now