La littérature pleure toujours à chaudes larmes

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Notes relatives au caractère de Donghyuck.

On trouvait Donghyuck assez inconsistant. Inconsistant, non pas faute d'avoir un caractère affirmé, mais car il possédait la capacité étrange, comme celle d'un caméléon, à trouver des habitudes, des rictus, des attitudes propres à chaque membre de son cercle de connaissances. En un mot, Donghyuck était fuyant et, comme toute personne fuyante, il provoquait à ce titre la méfiance comme la sympathie discrète et reculée de beaucoup de ses pairs. 

Il se plaisait beaucoup à prendre des formes insoupçonnées, mais il se plaisait plus encore dans les visages désorientés dans lesquels il se reflétait. Il jouissait assez impunément de l'étincelle tantôt surprise, tantôt scandalisée qui surgissait du regard de qui était sa proie. La proie d'un instant, d'un jeu, d'un moment ; et après, après avoir recueilli l'étincelle avec toutes les précautions du monde, après c'était fini. 

Donghyuck aimait beaucoup lorsque les choses se terminaient ; il avait développé au fil des années un attachement profond pour l'éphémère, pour le motif de la disparition, ou au moins pour celui de la migration, de la transformation profonde, brusque et subite. L'évanescence du réel lui plaisait. Non pas que le caractère habituel et routinier de l'existence l'angoissât, mais la permanence, l'aspect définitif de certains événements l'effrayait au plus haut point. 

Une histoire se commence puis se termine. Donghyuck avait toujours aimé les histoires, car les histoires se terminaient toujours. La fin lui importait bien peu, tant qu'elle pouvait marquer la fin. Donghyuck semait ses journées d'une multitude d'histoires ; cela lui permettait d'échapper un temps, bien qu'il ne s'agît là que d'une illusion désespérée, à la fuite longiligne, éternelle, définitive de l'existence.


Le jeudi suivant.

Le professeur le regarda avec un air étonné. La demande, bien qu'elle ne fut pas extraordinaire, pouvait en effet susciter de la surprise ; car il n'était pas dans les habitudes de Mark de modifier son ordinaire. Au contraire, il lui avait toujours semblé que ce dernier, et ce avec un acharnement maladif, s'appliquait à respecter la cérémonie d'usages mystiques et codifiés, que chaque chose pour lui gardait son moment, sa place et son moyen ; qu'il y avait en somme une règle, une raison pour toute chose dans le monde que Mark étendait autour de lui de ses mains fermes et ordonnées.

Pour toutes ces motivations, mais sans doute également pour d'autres que Mark ignora toujours, le professeur refusa. Mark lui signifia que cela n'avait pas d'importance, que ce n'était pas grave, qu'il comprenait, qu'en effet cela était délicat ; il regagna sa place, celle près de la vitre qui donnait sur le couloir, et il porta son regard vers le reste de la salle, vers toutes ces places où s'affairaient des gens sans visage et qu'il aurait pu en un instant chacun remplacer. Et partir. 


Le jeudi précédent. 

Donghyuck s'éclipsa sur la pointe des pieds. Cependant, il eut à cœur de ralentir suffisamment son déplacement pour que, quittant le seuil du bureau, son ombre caressât longtemps encore le pas de la porte, qu'elle attirât comme le prédateur une proie dans son piège, Mark qui consultait avec attention le document avant de le rendre, d'un sourire faux et froid, à la secrétaire suspicieuse.

Puis lorsque l'ombre croisa le regard, comme un personnage de théâtre qui tire à lui sa cape d'un geste vif et définitif, Donghyuck saisit le morceau d'obscurité qu'il avait semé dans son sillage, s'en drapa avant de s'enfuir d'un pas leste mais décidé. 

Lorsque Mark sortit du bureau, le couloir était désert. Il était déjà tard, plus de dix-huit heures ; et la nuit tombait doucement. 


Donghyuck pleurant.

Le vent froid battait ses paupières, griffait, déchirait sa peau nue. Pour se faire violence, Donghyuck avait retiré son pull, le haut col roulé qu'il portait en dessous ; et la nuit tombait doucement.

Il avançait péniblement, bravant le froid et le remords, les bras vifs. Sous son t-shirt à manches courtes, il grelottait comme un malheureux transi. Il lui sembla que le froid, le froid pénétrant ainsi en lui, avait un aspect curatif, purificateur. Un sentiment poignant d'injustice lui crevait le cœur. Mais l'injustice n'était jamais que sienne, strictement sienne ; il en était à la fois le coupable et la victime ; et cela lui sembla injustice plus grande encore. 

Donghyuck aurait voulu raturer le reste, tout le reste. Raturer non seulement le début, mais également la fin. Pour la première fois de sa vie, la fin même lui semblait trop difficile à supporter. Il aurait voulu que tout disparût, soudainement, s'envolât. Du début jusqu'à la fin. 

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now