Rencontre innommable et hontes diverses

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Mark essayant sans succès de provoquer l'idée du vide en lui.

La fumée n'avait pas de corps. Elle n'avait pas de corps, pas de limite, pas de raison : elle emplissait le vide, le néant, donnait corps au néant, c'est-à-dire au rien et au tout à la fois. C'était une image de l'absolu, d'un absolu divin et vertigineux qui s'ouvrait comme une fente impénétrable à travers la feuille que Mark fixait, songeant à la noircir cent fois du même nom, répété inlassablement, inlassablement, et inlassablement encore...

Le vide fut un échec. La fumée formait des mots. Des mots, et non des phrases, et non du sens. Enfin si, du sens, trop de sens, un sens trop proche du battement frénétique qui agitait le cœur de Mark, désemparé devant sa feuille. Il sentait les larmes lui venir, s'étonnait de la fragilité qu'il affichait, à visage ouvert, la lune à témoin. D'ordinaire, il ne se serait pas permis une si grande intimité avec lui-même. Il gardait souvent une distance exemplaire, peut-être inutile, coincée, surfaite, mais exemplaire, entre lui et lui-même, comme pour se préserver des élans imprévus de la vie, des coups atroces du destin et de ceux, plus terribles encore, du cœur. 

Quelques gouttes glissèrent le long des joues de Mark. Il aurait voulu croire que son cœur saignait, que son stylo fuyait doucement. Il n'était certes pas loin du compte, car tout de ceci était vrai. Et il coucha un nom sur la feuille de papier tandis qu'il faisait mine de s'ignorer sangloter. 

Une honte sourde cueillait son esprit embrumé. Ce nom, il n'aurait pas dû le connaître ainsi.


Comment Mark entreprit de prendre connaissance du prénom de Donghyuck.

Mark s'assit, sortit un livre, resta imperturbable. Qui aurait porté une attention particulière à Mark aurait remarqué comme ses yeux balayaient sans logique la page dénuée de sens, comme ils réitéraient sans cesse la même trajectoire, le même jeu éhonté. D'ailleurs, une légère couleur empourprait ses joues, mais l'on aurait pu, dans un semblant d'amitié à son égard et à l'égard de la gêne que sa peau suintait, imputer le rougissement au soleil qui frappait torride dans sa nuque, car il était assit contre la fenêtre, le regard perdu quelque part entre son livre et les rangées de casiers qui se suivaient devant lui.

Mais personne ne prêta attention. Aussi Mark fut-il tout à fait tranquille dans le jeu de son observation. Il prenait goût à la métaphore du prédateur ; et il guettait. 


Mark a toujours aimé guetter le monde.

Mark avait toujours eu un goût prononcé pour l'observation, ou tout du moins pour une observation particulière, discrète et masquée. Il avait pour lui un air innocent, un sourire contagieux qui suscitait chez autrui une grâce, une tolérance hors-norme quant à sa présence suivie, poursuivie. Les animaux eux-mêmes se laissaient observer, traquer. Mark avait passé des heures innombrables à suivre fourmis, oiseaux, chats. Tous ces êtres qui errent par le monde ; et Mark errait à leur suite.


Comment Mark eut connaissance du prénom de Donghyuck.

Soudain, Mark se figea. Sa respiration se suspendit, et il lui sembla que l'air autour de lui, ainsi que le temps, s'étaient arrêtés. Chaque seconde devenait infiniment détaillée. Mark pouvait distinguer les états successifs du balancement de la mèche d'un passant, l'articulation mâchée d'un lycéen en train de relater un ragot potache, et entre mille autres choses, le regard, la présence, la démarche du garçon, brun et les yeux brillants, qui s'avançait très sûr de lui vers un casier, un casier particulier ; le casier 402.

Puis un regard. Vite. Mark replongea dans son livre, le soleil tapait plus fort que jamais sur sa nuque qui étincelait d'un feu nouveau. Il eut un sourire, ou Mark crut-il plutôt saisir un sourire sur son visage ; mais il n'était plus sûr de rien. Cela aurait pu être n'importe quoi. N'importe quoi aurait peut-être été mieux, mieux que ce sourire. Le sourire était peut-être un mot, quelque part, dans la page qu'il parcourait sans lire. 

Plus tard, Mark fit un détour par l'administration. Il avait oublié quelque chose dans le casier d'un ami. Quelque chose, il ne savait plus quoi. L'ami, il ne savait plus lequel. Mais ce n'est pas grave, c'est le casier, celui-ci, le 402. Regards circonspects. On daigna avec maintes suspicions lui donner un nom, ou plutôt lui présenter un dossier. Il n'avait qu'à chercher la ligne correspondante.


Les raisons qui poussèrent Mark à l'appeler Hyuck et pourquoi ce dernier fut au courant.

Mark saisit vivement le document qu'on lui tendait à contre-cœur, comme s'il avait enfin réussi à s'accaparer un trésor. Là, il y avait ce nom. Enfin, un nom particulier. Le premier signe avait été rayé d'une rature malhabile et très attendrissante.

Sur le seuil du bureau, Donghyuck se tenait très droit et très ferme. Pour la première fois, il ne souriait plus, il se sentait même un peu dépassé, un peu anxieux. Il n'avait pas prévu. Il n'avait rien prévu de tout cela.

Mark crut apercevoir une ombre. Donghyuck avait disparu ; Mark conclut à une illusion. Une simple illusion. Il redonna avec beaucoup de précautions le précieux document à la secrétaire. Politesses.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant