Deux étreintes

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Mark comprenant soudain ce qu'était la littérature.

Il avait le visage noyé de larmes sombres qui taillaient sa peau comme des lames cruelles. Son regard était vide, sa bouche à peine entrouverte, et la respiration lui était devenue si difficile qu'il se sentait prisonnier d'une apnée infinie.

Le lit était défait : il n'avait pas eu le temps de jeter la couette, fut-ce avec empressement, pour donner une illusion d'ordre. Plutôt, Mark était assis, la tête appuyée lourdement en arrière contre le mur dont il s'appliquait à imprimer, avec une rage contenue, les plus petites proéminences dans son crâne. Il était bientôt vingt-et-une heures ; et bientôt il ne serait plus seul.

Persuadé dans ses entrailles par l'urgence de l'heure, Mark fut saisi d'un empressement soudain. Une lumière habitait ses yeux cavés ; car la journée avait été dure, plus dure que toutes les autres. Lentement, il se leva, prit la feuille recroquevillée sur elle-même et, comme le papillon attiré par la lueur douce du jour, glissa à travers la chambre plongée dans la pénombre, jusqu'au bureau où son stylo brillait doucement. 

Mark déplia avec maintes précautions la feuille froissée, l'aplatit au mieux de l'extrémité de ses doigts fins, invisibles dans l'ombre. Elle était couverte cent, mille fois du même nom, juxtaposé sans fin, immédiatement. Une sensation d'étouffement prit Mark à la gorge, mais plutôt que de porter ses mains à son cou dans une crispation désespérée, il se jeta tout entier dans l'encre désœuvrée et raya, consciencieusement, de sorte qu'il ne subsistât que la seconde moitié de chaque nom cent, mille fois renouvelé. Une fois qu'il eut achevé, Mark sourit ; il était épuisé.


Au domicile de Donghyuck.

Il ne claqua pas la porte. Dans l'espérance vaine de n'être remarqué de personne, il poussa délicatement la porte, abaissa la poignée au moment opportun et se déchaussa en toute hâte. Pourtant, une voix sourde et familière tombait d'en haut. Donghyuck se sentit sali, privé d'une forme de solitude première et immuable, aussi ne répondit-il rien et ne daigna pas se mouvoir avec moins de tranquillité et de discrétion.

Sa mère apparut en haut de l'escalier. Comme d'ordinaire, elle souriait. Elle souriait toujours, cela la rendait terriblement effrayante. Donghyuck ne comprenait plus depuis longtemps. Il tenta de lui renvoyer son sourire mais parvint seulement à tordre son visage d'une façon grossière. Elle s'en contenta manifestement comme elle descendait quatre à quatre les marches. 

Donghyuck eut beaucoup de mal à s'extirper de son étreinte. Et elle, comme d'ordinaire, souriait.


Voiture.

Au dehors, le bruit d'une voiture détonna dans la nuit ; puis s'évanouit brusquement. Un portière, deux, et plusieurs pas, plusieurs personnes. On entra sans frapper et Mark entendit la clé tourner dans la serrure. Les voix qui s'élevaient en bas, bien que confuses à l'étage où se situait la chambre de Mark, étaient très reconnaissables. Mais Mark n'avait pas envie de voir ses parents ; quelque chose, un chagrin sombre, replié sur lui-même, le retenait d'une effusion tendre, un affect tenace le gardait de descendre tout de suite.

Mais bientôt, on l'appelait. Il était déjà si tard, il fallait se hâter de dîner ; demain encore, le réveil sonnerait tôt. Mark décida de passer sous silence son retard de ce matin et se laissa glisser docilement dans l'escalier, marche après marche, avec un sourire inexpressif. 


Au domicile de Donghyuck.

Il était tard, même si Donghyuck s'était pressé d'avaler son repas, lorsqu'il regagna enfin sa chambre. Il attira une peluche dans ses bras, mordilla doucement son oreille douce et parfumée. L'odeur de l'enfance, le goût de sa propre transpiration. Donghyuck aimait à s'emplir d'une substance qui était toute sienne, comme une évidence. 

Puis il ferma les yeux, il plongea dans une obscurité nouvelle, une obscurité dans laquelle les sons, les odeurs, les souvenirs étaient multipliés par cent, mille. 

Ses mains fouillaient le corps duveteux de son ours et chaque parcelle de sa douceur était pour lui un réconfort plus grand. Il aurait souhaité cent, mille fois disparaître, devenir peluche lui aussi. Juste pour un temps. Alors, Donghyuck plongea la tête dans le petit corps et il lui sembla que celui-ci respirait, qu'il se gonflait de vie, remuait dans ses bras selon une pulsation régulière, chaude et délicate. Une ivresse nouvelle gagnait les joues de Donghyuck et, à mesure qu'il respirait, qu'il écoutait, qu'il caressait, la respiration se faisait plus tangible, le son plus chaud, la caresse plus humaine. 

Et soudain, la peluche n'avait plus rien d'une peluche : l'odeur n'était plus la même, le toucher était profondément différent. Il sembla à Donghyuck qu'il serrait contre lui quelque chose de tout à fait étranger qui provoquait en lui une frayeur grondante. Entre ses cuisses, une chaleur inquiétante propageait ses doigts fiévreux. 

Haletant, Donghyuck jeta la peluche avec violence à travers la pièce. Puis, ayant recouvré un peu ses esprits, s'en approcha avec crainte. Au sol, la peluche était immobile. Elle semblait le regarder d'un air triste. 

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now