La vie est une chimère munie d'un parapluie

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Mark à son bureau.

Mark s'assit et se pencha sur la feuille blanche devant lui. Sans la quitter du regard, il chercha de sa main aveugle son stylo qui roula plusieurs fois sur le côté, comme s'il redouait ce qui allait suivre. En un sens, il avait sans doute raison, aussi Mark ne lui en voulut pas et commença plutôt.

Il voulait écrire une histoire. Quelque chose de nouveau, quelque chose de différent. Il est assez difficile, et non moins étrange, pour quelqu'un qui écrit, de détester les histoires. Mark soupira bruyamment et le silence terne de sa chambre endormie lui répondit sans bruit. Il appréciait le calme, fermait les yeux avec envie tandis qu'il laissait, au hasard des mots, le stylo parcourir la feuille, encore et encore, d'arabesques en arabesques, de sorte que quelque chose d'inédit sortît, jaillît presque de la feuille et le surprît lui-même. Car Mark caressait l'illusion de la surprise, et avait la conviction que cette illusion lui faisait grand bien. Il ne se trompait pas tout à fait.

Alors, ayant cessé soudain d'écrire, il leva son stylo, le jeta au loin. Le bruit étouffé de son lit lui répondit. Mais Mark n'en avait que faire. Plutôt, il lui semblait que c'était là comme un signe dont l'importance n'était pas dans la cause mais dans l'effet. Dans l'effet profond, diffus qui se propageait peu à peu.

Dans les draps, des encyclies. Il caressait du bout des doigts les frémissements de l'eau calme, comptait les cercles qui s'inscrivaient les uns dans les autres, qui se pénétraient réciproquement, s'embrassaient sans bruit dans la nuit taciturne. Seule la lueur de la lune qui caressait les rides de l'eau permettait de discerner quelque chose dans le noir d'encre.

Mark, alors, reprit son stylo. Il le soupesa dans sa main, comme un athlète son poids ou son disque. Il y avait une part de prétention à cet exercice, un air qu'il voulait se donner, une assurance dont il espérait être contaminé par ce jeu du mime, un peu étrange, mais qui trouvait ses racines profondément en lui, si profondément qu'il devint aveugle de lui-même un instant, et l'illusion devient vraie.

La main, le bras, l'épaule jaillirent. Cela partit d'un coup. Comme une balle, comme une flèche, comme un poids ou un disque. Un bruit sec, aigu, fracassant brisa la nuit et la fenêtre. Mark ne réalisa pas tout de suite. En réalité, la colère, une colère douce et amère à la fois, qu'il n'avait pas encore décelé en lui, coulait du bout de ses doigts comme un magma visqueux. Il respirait abondamment. Lorsque l'air frais cogna ses poings serrés, il s'étonna, il paniqua, il frissonna avant de s'approcher, tremblant, de la fenêtre qui était ouverte sur la nuit noire. Il ne résista pas à son appel.


Hyuck à son bureau.

Hyuck s'assit, croisa ses mains, emmêla ses doigts de sorte qu'il ne vît plus qu'une masse informe, grouillante et organique, une créature étrange dont il ne voyait plus ni la tête ni la queue, ni le début ni la fin. Cette perspective lui était résolument étrange et il la contempla longtemps sans bouger.

En bas, soudain, un bruit. Hyuck se redressa vivement, aux aguets, comme la proie qui se sait poursuivie et qui entend, avec un désespoir excité, la bête, féroce et agile, qui s'apprête à lui briser le cou. La nuit cependant retira ses crocs de sa gorge. Au loin, il entendit un claquement sec et ce fut le silence. Hyuck retint ses larmes mais son cœur coulait doucement. Il sentait en travers de sa gorge l'étranglement, le nœud qui s'y nouait, se resserrait, et son corps, balancé par le vide, d'un coin à l'autre de l'existence alors que tout, tout autour de lui s'évaporait comme s'il n'avait jamais rien existé, comme s'il avait toujours été seul. Cette solitude profonde se heurta à son corps et à ses joues humides.

Alors, il se leva. Plutôt, il se dressa brutalement, manquant de tomber ; la chaise tomba à sa place. Et il l'envoya valser à l'autre bout de la chambre. Son pied et son tibia lui faisaient mal ; mais il ne sentait pas la douleur ; il sentait autre chose, quelque chose de moins clair, de moins limpide. Une confusion sinueuse qui rampait contre lui. Cette fin, il ne l'avait pas voulue.

Mais au fond, c'était peut-être sa faute. Oui, tout était sa faute. Du début jusqu'à la fin. Le début, il l'avait mangé. Il l'avait dévoré. Il l'avait mâché, avalé, recraché, et recraché en petits morceaux, en morceaux noirs, longs, fins et horizontaux. Et l'image, l'image atroce, insoutenable du nom venait s'imposer à lui. Elle venait s'imposer et elle était plus douloureuse encore que lorsqu'elle ne fût pas encore effacée. Il avait tué le début, la fin s'était tue d'elle-même. Il avait refusé d'être le conteur de cette farce, il avait refusé d'être celui par qui arriverait le tout, et le rien, désormais, s'imposait à lui, riait de lui, comme on rit d'une farce, d'un acteur ridicule et mauvais, profondément mauvais et vil.

Il cracha à terre. Il jeta ses poings, ensemble, liés, dans la fenêtre qui le séparait du noir. Une douleur torse parcourut ses mains qui se fendaient de sang, comme des milliers de sourires moqueurs et acerbes dans sa peau. Mais la douleur l'arrêta. Il haletait. Il haletait et fixait la nuit noire. Il ne résista pas à son appel.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now