Rien ne s'efface jamais du monde

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Dans l'entrée.

La mère de Donghyuck avait un clou glissé entre les lèvres et une paire de ciseaux dans la main. Elle étudiait d'un air absent le mur qui se présentait devant elle, comme s'il eût recelé une particularité, une caractéristique étonnante qu'elle était seule à déceler. En fait, le mur était vierge, la tapisserie décrépie et les tâches étaient nombreuses à sa surface. Mais ce n'était pas là ce que la mère de Donghyuck observait, ou plutôt, ce qu'elle n'observait pas car, ainsi silencieusement, elle contemplait le vide.

On remarquait d'ailleurs, si l'on se penchait dans une position proche de celle, un peu courbée, de la mère de Donghyuck, une délimitation étrange, un rectangle peut-être plus préservé, qui conservait une teinte plus vive et éclatante, comme si le temps avait glissé autour sans emporter rien de sa vivacité.

Un souvenir abondamment renouvelé. Presque ironiquement, d'ailleurs. Il y avait quelque chose de profondément ironique dans la présence de ce rectangle coloré dans cet intérieur si morne, un peu démodé qui avait mal passé le temps et fleurait bon la poussière et la décennie précédente. Comme si tout s'était arrêté. Comme si ce rectangle, avec ses couleurs, avec sa vigueur, n'était plus rien qu'un souvenir que tout destinait désormais à l'oubli.


La veille, Hyuck et sa mère dînant.

Hyuck était rentré assez tôt ce soir-là. Non pas qu'il eût l'envie de rentrer plus tôt, mais le froid sibérien qui s'étalait par nappes entières, courant sur l'asphalte brillante de la glace à venir, l'avait poussé, la bouche fumante de l'effort, à rentrer chez lui au plus tôt. Sa mère l'attendait. Sa mère l'attendait toujours.

Il s'était assis à la table de la cuisine sans dire un mot. Ce soir, il eut cependant l'impression qu'il y avait quelque chose de changé. Quelque chose de différent. Peut-être dans le sourire, plus fort et moins forcé, qu'arborait sa mère, un peu fièrement, comme l'enfant qui est fier parce que sa maîtresse l'a félicité. Ce genre de sourire que Hyuck n'avait pas vu depuis longtemps.

Il sut alors que demain, demain quelque chose arriverait. Car aujourd'hui elle ne parlait pas. Elle ne parlait jamais beaucoup, il est vrai — elle préférait sourire, seulement sourire — mais elle semblait tout absorbée à un projet dont elle ne voulait rien dire, dont elle conservait précieusement le secret, comme si en parler eût aboli l'effet magique qui lui était promis, eût réduit à néant tous les espoirs qu'en secret elle nourrissait sans honte.


Comment Hyuck a pénétré de nouveau dans le bureau de sa mère.

Hyuck serrait très fort la petite clé dans sa main. Cette fois, il tremblait. Il agrippa son poignet comme on met l'index devant sa bouche ; mais la gueule, béante, continuait de hurler.

Après avoir beaucoup peiné, il parvint à insérer la clé dans la serrure puis, ayant inspiré profondément, il tourna. La clé, elle, ne tourna pas. Curieux, il poussa de la pointe de son pied la porte ; et le panneau pivota sans grincer.

Le bureau avait été remué, c'était assez clair. En fait, quasiment plus rien n'était à sa place. Ça ne faisait pourtant pas deux semaines que Hyuck s'était, comme l'aurait fait un voleur, introduit dans la pièce ; mais il n'avait rien volé : il avait détruit. Cette fois, il ne voulait pas détruire ; pas tout à fait ; et il tremblait de le faire.


Un remplacement.

A ses pieds, un cadre dont la face est retournée contre le mur. La mère de Donghyuck se pencha tandis qu'elle tenait toujours le clou dans sa bouche ; un goût métallique. Alors, elle retira avec assurance la partie arrière du cadre, la posa au sol tandis qu'elle récupérait l'image, une photographie qui figurait un homme, assez beau et dans la fleur de l'âge, mais qui puait la poussière et le papier fané.

Elle brandit les ciseaux et un carré très propre tomba à terre. Elle glissa une autre photographie, dont le papier était plus éclatant, plus épais aussi, qu'elle positionna soigneusement, en prenant garde que rien ne dépassât. Elle juxtaposait ses gestes avec calme, avec un calme si grand que c'était comme si le temps, soudain, s'était arrêté. Cette sensation lui plut.

Elle s'approcha du mur, le cadre en main. Enfonça de nouveau le clou dans le petit trou où il était auparavant logé. Ajusta de nouveau les deux photographies pour s'assurer de l'effet. Fixa de nouveau le cadre au mur. En reculant, c'était comme si le cours du temps avait repris. Elle foula de ses pieds, sans s'en formaliser, le carré découpé qui gisait au sol. Le visage de Donghyuck souriait dans un corps qui ne lui appartenait pas.


Un remplacement.

Un mot. Ce n'était qu'un mot. Enfin, un nom. Juste un nom, rien qu'un nom, mais pour Hyuck, à cet instant, c'était un monde, tout un monde. Il ne fallait pas réfléchir ; cela n'aurait fait qu'affaiblir le geste, le geste qu'il n'avait déjà que trop réfléchi, à force de tours dans son lit, dans ses draps défaits comme la nuit s'écoulait près de lui sans jamais toucher ses paupières.

Il ouvrit le petit carnet avec détermination. La poussière ne volait plus. Il tourna quelques pages ; et il y avait ce nom, rayé, et puis le sien, à moitié effacé. C'était comme si le destin avait fait une part du travail. De son travail. De sa besogne. Il aurait dû se sentir en colère, se sentir bafoué, mais au contraire, il y trouva le signe apaisant d'un assentiment qui, avec un geste paternel, poussait sa main, son stylo, vers la page.

Hyuck n'écrivit pas grand-chose. Un mot. Un nom. Il ne restait que la fin de son nom. Il en apposa un autre juste devant, comme pour sceller un destin, le même destin qui avait effacé le début. Pour ne garder que la fin. Mais cette fois, Hyuck voulait bien d'un début.

Il referma vivement le carnet. Oui, Mark était un début dont il voulait bien. 

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant