Plusieurs jeudis, de l'autre côté du couloir

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Le deuxième jeudi. 

Mark ne consacrait pas une très grande attention au cours. Non pas qu'il y consacrât d'ordinaire une attention assidue, mais s'il feignait la plupart du temps d'écouter le cours, au moins d'esquisser la réponse à un problème choisi au hasard dans son livre, ce jour, et alors qu'il était arrivé très en avance, il laissait son esprit vagabonder, ailleurs.

L'ailleurs était mieux que tout le reste. Il était déchiré par un dilemme affreux. D'une part, il y avait l'irrépressible envie d'être ici, maintenant, de goûter au monde comme il venait à lui ; de l'autre, la peur, l'angoisse d'être prisonnier d'un temps et d'un espace. Mark se sentit plus que jamais poisson dans un aquarium ; et les autres, autour de lui, étaient des algues flottantes, difformes, qui ondoyaient sans but selon son regard.

Et le souffle sembla s'éteindre dans sa bouche, et il lui sembla qu'il s'asphyxiait tout à fait, alors même que sa respiration se faisait plus bruyante, sonore, au point où plusieurs regards interloqués convergeaient vers lui. Mark ne les vit pas : il rassemblait son attention, le peu d'attention qu'il lui restait, pour observer d'un air vague et triste les algues et leurs mouvements hypnotiques, les algues qui se mêlaient, s'enchevêtraient, se croisaient pour ne former qu'une seule silhouette, qu'un seul visage. La vision fut insupportable ; et Mark ferma les yeux. Il s'était pourtant juré de ne plus jamais lui porter un regard.


Le troisième jeudi.

Mark laissa courir son regard le long de son image qui se reflétait timidement dans la vitre de la classe. Il prenait grand soin de ne surtout pas laisser dépasser son regard. L'autre côté de la vitre était un inconnu encore immense et il eût été présomptueux et précipité de s'y laisser glisser avec trop de hâte. 

Il soupira, tourna machinalement les pages de son cahier sans même y jeter un œil. Pourtant, il lui semblait qu'il lisait, à mesure que les pages défilaient sous ses doigts absents, une réalité toute nouvelle et toute autre. Que cherchait-il ? Et, avec davantage de vivacité encore, Mark parcourait les pages, il manquait presque de les arracher, ses mains, ses doigts se pourvoyaient de griffes qui fendaient l'encre en grandes giclées. 

L'essoufflement gagnait Mark tandis qu'il balayait avec une fébrilité inédite la vitre encore opaque à ses yeux. Sous les assauts répétés de l'encre, la vitre se fendait d'éclats épars et, le soleil s'étant suffisamment élevé dans le ciel, elle semblait désormais parcourue de délicates fissures, comme les filaments d'une toile d'araignée. 

Mark aurait pu se débattre, se débattre pour se défaire de la toile dans laquelle il s'était jeté. Il n'en fit rien ; et, dès qu'il relâcha un petit peu son attention, la toile se brisa de toute part ; et Hyuck le fixait.


Le quatrième jeudi.

Le cours n'avait pas encore commencé ; les élèves piaffaient devant la porte de la salle restée fermée ; tous attendaient l'annonce de l'absence du professeur quand tous savaient qu'il ne s'agissait que d'un retard ; fut-il hautement inhabituel. Mark aurait voulu se tenir à l'écart, mais il se mêla plutôt à la foule, se laissa glisser entre les corps flottants qui s'écartaient à peine, comme les membranes souples d'un animal en sommeil, et il s'engageait dans une formidable créature de chair qui exhalait des odeurs nouvelles, fortes et entêtantes. Il lutta contre la sensation de nausée qui le gagnait.

La professeure de la salle en face était toujours en retard. D'ailleurs, à ce titre, les lycéens adoptaient, comme toute forme de vie qui s'adapte à son environnement, une attitude résolument différente. Leurs rangs formaient des amalgames grossiers, dispersés par le couloir, et ces amalgames épars tentaient de s'accoupler avec la masse imposante qui leur faisait face, celle-là même à laquelle Mark avait consenti à s'incorporer. Mark retint son souffle en apercevant le visage calme et concentré de Hyuck, inondé de la lumière bleue, froide et résolument tendre qui émanait de l'écran de son téléphone portable. Mark s'autorisa un sourire, puis fut englouti par la chair qui l'entourait. 


Le quatrième jeudi. 

Donghyuck avait longtemps souhaité que ce jour arrive. Ce n'était pas encore le moment d'une approche, trop précipitée, mais il y avait dans cette occasion, dont il avait encore rêvé la nuit précédente, un goût attrayant, perturbant auquel il se serait voulu de ne pas succomber. 

Alors, il sortit de la poche de son pantalon son téléphone, le plaça devant son visage, alluma la caméra. Mark était plus beau encore lorsqu'il le regardait sans se savoir vu.


Le deuxième jeudi.

Mark pressa le pas comme il traversait l'aube glacée. Cette fois, il s'était promis de ne plus jamais être en retard ; d'être en avance même, de sorte qu'il ne croisât jamais, sa professeure se ne se présentant jamais à l'heure, contrairement au sien, son visage. Il ne voulait plus jamais voir son visage. Plus jamais.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now