Ce pourquoi les stylos sont les plus précieux amis de l'homme

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Mark se saisit d'encre dans la nuit tombante.

La porte de la chambre de Mark claqua. Une onde frémissante parcourait l'ambiance livide de la chambre, sa petite chambre qu'il avait laissée ce matin dans un désordre fracassant. L'air, la fenêtre étant demeurée occultée la journée durant, était glacial, et pour peu que Mark fît place à un petit peu d'imagination, il pouvait observer son souffle former des nuages imagés dans l'obscurité nocturne. 

Pour une raison qui lui était encore inconnue, Mark était énervé. La tension traçait dans la ligne de son cou le contour d'un tendon saillant qui lui donnait une attitude forte et décidée. D'un geste leste et cérémonieux, il fit voler son sac sur le lit et alluma la lumière, d'une tape aveugle sur l'interrupteur qui se trouvait derrière lui. 

Mark avait l'envie, sinon le besoin impérieux, d'écrire. Assis sur le lit, il saisit son sac sur ses genoux écorchés par le froid et, de ses mains toujours tremblantes, ouvrit la poche de son sac la plus grande, sa trousse d'un coup sec. Ses doigts encore paralysés se replièrent maladroitement sur un stylo.

Le manque d'irrigation n'était pas la seule explication à la raideur de ses doigts. En réalité, Mark tremblait, un peu, de tout son corps, tout entier. Seul son regard était fixe. Et, bien qu'ayant rassemblé à plusieurs reprises tout son courage, le stylo qu'il tenait désormais fermement dans sa paume était secoué d'angoisses que Mark ne comprenait qu'à moitié. Une image, une autre se superposaient à la vue brouillée de sa chambre, comme si l'air avait été noyé de larmes qui n'étaient pas les siennes. Dans une forme de mirage humide, il fut à même de déceler le souvenir du stylo tombant puis, ayant perçu que quelque chose de plus grave, presque dangereux était sur le point de survenir, Mark ferma brusquement les paupières et tenta de provoquer l'envie du vide dans son esprit. 


Mark souhaite apprendre le nom de celui qu'il a croisé plus tôt.

C'était l'après-midi. Dans l'immense couloir du rez-de-chaussée de l'aile la plus imposante, celui-là même dédié aux casiers, le soleil brillait comme par une après-midi de printemps. Les immenses fenêtres qui entaillaient le mur laissaient y pénétrer l'extérieur profondément. Mark décida qu'il était dans un aquarium d'une sorte nouvelle. Des traces de mains, de doigts tapissaient le verre, décoraient comme des peintures pariétales, résolument anciennes, le sol sale sur lequel elles se projetaient. Il avait l'impression tenace d'être observé, comme un lion en cage, comme un poisson prisonnier d'un bocal, par des hordes hostiles qu'il ne pouvait voir. 

Mark se plaça face au soleil, ferma les yeux. Il sentit, bien que ce fut là un sentiment très diffus, presque indistinct, les contours rugueux, légèrement poisseux d'une ombre épouser son visage, sa peau, ses lèvres. Sans regarder, il tenta de compter : cinq, sans doute une main. Mark eut voulu se demander à qui elle appartenait, mais la sensation était si douce et enivrante qu'il demeura longtemps ainsi les yeux clos, la figure ouverte sur le monde, de l'autre côté, et dont la vitre éclatante procurait une chaleur plus intense encore, lui semblait-il, que celle du soleil. 

Mark se sentit rougir, il avait chaud, il aurait voulu desserrer son col qui oppressait sa gorge tachetée de brun. Mais l'intensité de l'instant le découragea de briser l'étreinte de torpeur qui enceignait sa peau.


Début de l'écriture, première rature.

La feuille, entièrement vierge, brillait d'un blanc purulent dans l'éclat torve de la lune qui s'élevait. Mark, le stylo flanqué à ses lèvres tendues d'un sourire distrait, entreprit, tâtonnant dans le noir opaque, de soulever les persiennes pour mieux voir l'intensité de la nuit. Il avait le sentiment illusoire que la nuit, la nuit la plus profonde était un précipice propice au vertige de sa propre existence, au vertige noir de l'encre sur le papier, à la chute péremptoire et ininterrompue de l'obscurité sans fin dans la lumière éclatante. Du coin de ses lèvres, une goutte d'encre tomba, s'étala sur le papier dont elle explorait des nervures obsédantes et invisibles pour l'œil humain.

Mark, ayant desserré la mâchoire, se saisit soudain du stylo. Il inscrivit un mot, puis deux sur la feuille blanche. Il découvrit avec un peu de surprise le nom qu'il avait écrit. Non pas qu'il n'en eut pas connaissance, non pas qu'il en soit d'ailleurs véritablement surpris ; mais son audace, car il y avait derrière ce geste une audace ironique et effrayante, l'avait sincèrement pris par surprise. Aussi Mark prit-il peur, se leva d'un bond, le visage marqué d'horreur. 

La feuille, froissée, déchirée de plusieurs parts, vola en l'air et s'écrasa, le visage pénétrant dans des bras dénués de tout réconfort, sur le lit gémissant. Le stylo brillait doucement, encore ouvert sur le bureau disposé sous la fenêtre, dans la lumière de la lune, et une goutte d'encre luisante se balançait tranquillement à son extrémité.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now