Les deuxièmes fois ont toujours quelque chose de faux

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Le deuxième jeudi, tôt.

Ne pas regarder. Ne pas tourner la tête, ne pas céder à l'envie, à la tentation. Ne pas regarder. Mark avait la mâchoire serrée, il battait fébrilement la table du bout des doigts. Le bruit agaçait passablement ses voisins qui lui enjoignaient de cesser ; mais Mark n'entendit rien ; Mark ne voulut rien entendre.

Une chaleur intense se propageait de la vitre jusqu'à sa joue. Comme une loupe amplifie un rayon de soleil. Mark respirait calmement, le plus calmement dont il était capable dans la situation actuelle : car la température tenait de la torture et Mark, à moins qu'il ne se décidât à perdre face à lui-même, était condamné à souffrir le regard qui traversait le couloir, la vitre, sa peau avec insistance. 

Puis, ne sachant que faire, Mark se résolut enfin à poser sa main, paume à plat, contre la table froide. Et comme une feuille que l'on froisse, par le jeu oblique des ondulations, le stylo roula, roula et le bruit métallique bientôt éclipsait le cliquetis mécanique des ongles, et tout se tut, sinon le bruit, soudain de plus en plus intense, fort, puissant. Total. 

Le stylo tombait ; Mark accrocha furtivement un regard dans la vitre comme il se penchait. Il ne put réprimer un sourire malgré la tristesse amère de la défaite de soi-même.


Le deuxième jeudi, plus tard.

Mark s'assit. Le banc était glacé ce matin ; car le soleil était resté masqué par d'épais nuages, comme par les jours cotonneux d'hiver. Il laissait son regard vagabonder au loin, se perdre dans la fantaisie du ciel et des rais de lumière qui perçaient parfois, par inadvertance. 

Mais ce matin, Mark ne guettait pas l'oiseau. D'ailleurs, il faisait probablement trop froid, trop humide pour qu'il se montrât, aussi Mark ne cultivait guère d'espoir à cet endroit. Ses motivations étaient toutes autres. 

Il porta ses mains à sa bouche en retenant, par les auriculaires, ses manches de sorte qu'elles ne s'affaissent pas au cours du mouvement. On eut dit de petites pattes griffues, et un rire surgit de derrière lui. 

Alors, poursuivant le prétexte de se réchauffer les mains, Mark enfouit sa figure dans ses manches. Seul un filet blanchâtre filtrait à travers ses doigts et faisait briller son visage écarlate. Ils restèrent un long moment ainsi. Mark fut troublé de trouver tant de plaisir, non plus dans l'observation, mais dans le fait d'être observé, bien qu'il en éprouvât simultanément un grand malaise ; et un malaise plus grand encore lorsque Hyuck détala comme s'il n'avait jamais été qu'un coup de vent. 

La mèche de Mark se souleva tranquillement sous l'effet de son souffle chaud et rauque.


Le deuxième jeudi, encore plus tard.

Mark s'assit. La vitre dans son dos réchauffait son corps ; non pas qu'il eût froid, mais la chaleur donnait une légitimité à la gêne manifeste qu'il présentait, dans ses gestes, ses attitudes, ses mimiques. Un rictus involontaire lui barrait le visage et, ayant par plusieurs fois tenté, sans grand succès, de le dissoudre en une expression plus commode, il baissa la tête, planta son regard entre ses cuisses ouvertes ; et la perspective étant devenue plus recluse et plus intime, Mark s'en trouva grandement rasséréné.

Beaucoup de casiers plus loin, Mark pouvait distinguer, au travers du flot indistinct du passage, une silhouette dont la symétrie de la posture vis-à-vis de la sienne lui inspira beaucoup d'émotion. Il laissa courir contre les dalles du carrelage un regard discret ; et Hyuck leva soudain la tête.


Le deuxième jeudi, avant tout le reste.

Mark se tenait appuyé à un réverbère : il avait les yeux à moitié clos et l'air occupé par une réflexion intense. Il faisait encore noir, aussi Mark ne ressentit pas la nécessité de faire preuve de beaucoup d'imagination, car les formes mouvantes de la nuit mourante suffisaient à ses spéculations. Il fit quelques pas, s'arrêta, puis quelques pas encore tandis qu'une insatisfaction profonde parcourait son visage. 

Il eut un mouvement d'agacement, rajusta son sac sur son épaule pour retrouver un petit peu de confiance. Il n'y arrivait pas. Mark savait comme il était difficile de s'observer ; observer les autres était un jeu naturel chez lui, une prédisposition, un talent inné ; mais s'observer soi-même, soi-même que l'on ignore plus que quiconque, s'avérait relever d'une difficulté que Mark n'eût jamais imaginée s'il ne l'avait pas constatée immédiatement. 

Il renouvela encore la tentative ; mais ses pas sonnaient faux, sa silhouette était tordue par trop d'application, ses mouvements étaient hachés et son souffle coupé. Alors, abandonnant brusquement son ombre du jeudi passé, Mark se mit à courir, aussi vite qu'il lui était donné et ses jambes semblaient dépasser son propre corps, comme il se jetait en avant avec toute l'énergie dont il était pourvu. Il chassa le sentiment de panique qui l'encerclait peu à peu ; et, alors qu'il marchait plus calmement, il passa à proximité d'un réverbère dont la lueur était très franche et très crue ; la lumière inonda pleinement son visage.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirWhere stories live. Discover now