Rêve II

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Mark habitait, pour une raison qui lui était inconnue, une tour composée de cartons. Il avait tout pour y être heureux : un service à thé et un livre, dont il ne comprenait aucun des mots, mais qu'il aimait beaucoup.

Les jours de grand vent, Mark sentait la tour vaciller ; il sentait le carton trembler, le souffle froid et rauque s'infiltrer dans le moindre interstice, s'enrouler autour de lui avec un air menaçant avant de se dissoudre, comme s'il n'eût jamais existé. Mais Mark, ces jours-là, n'était jamais inquiet. En réalité, il vaquait à ses occupations avec un air des plus détachés ; et il en était bien heureux.

Mais aujourd'hui, alors que le soleil courait se cacher dans l'horizon, Mark sentit que quelque chose était différent. D'abord, il n'entendait rien. Non qu'il entendît beaucoup de choses d'ordinaire, mais le calme, le silence qui s'étalait autour de lui avait des aspirations fantastiques, extraordinaires, qui le poussait à y porter une attention différente ; et cette attention différente était une attention effrayée. Mark ressentit une forte sensation de peur et cette sensation lui déplut fortement. Pourtant, il se savait en train de rêver. Souvent, Mark se savait en train de rêver, et cette nuit, alors qu'il poursuivait ce rêve étrange qui se mettait à lui déplaire, il eut conscience qu'il rêvait. Mais tentant le sort, Mark renonça à s'éveiller : la curiosité le piquait, le tenait et, ayant succombé cette fois au charme du récit, il laissa de côté la peur pour guetter plutôt la suite des événements.

La suite des événements ne tarda pas à survenir ; et elle se passa telle que je le dis.

Un tremblement de terre fit résonner le petit service à thé, posé sur un petit carton dans la petite maison de Mark, perchée tout en haut de la grande tour de cartons. Mark sentit l'onde se propager dans son corps, dans sa chair, dans ses os tandis qu'il la voyait caresser la surface du thé dans sa tasse.

La maison, qui avait tout d'une simple boîte mais qu'il persévérait à nommer ainsi, était dépourvue de fenêtres. En réalité, c'était là un abri très rudimentaire : Mark était contraint de répartir ses jambes de part et d'autre du petit carton qui lui tenait de table, et de garder la tête basse, en position assise, de sorte qu'il ne se cognât pas au plafond qui se trouvait fort bas.

Mark fut saisi d'un sentiment nouveau, un sentiment de découverte. Après avoir longuement réfléchi, il décida de se saisir du petit couteau à beurre qui accompagnait son service. Il était d'abord très réticent à l'extraire de son rôle initial ; mais l'absence de beurre parmi ses possessions — il n'avait pour ainsi dire que du thé — le convainquit qu'il ne s'agissait point d'un blasphème, ou de quelque autre faute très grave et répréhensible ; et ajustant sa position, il entreprit à l'aide du petit couteau de détailler une ouverture, d'une forme assez aimable car il importait à Mark de ne pas détériorer le matériau de son rêve, dans la paroi de carton.

Sans grande surprise, le petit couteau s'enfonça très bien dans le carton, comme s'il se fût agi d'un gâteau très fondant, ou justement, d'un peu de beurre, et il sembla en effet, à y regarder de plus près, que la paroi était légèrement gluante, au moins glissante, ce qui aida le couteau à achever son ouvrage fort prestement et avec une aisance plus grande encore.

Il reposa le petit couteau soigneusement, avec reconnaissance, sur la petite table ; et se pencha à la fenêtre.

Le paysage était inédit. Au loin, des montagnes. Et en bas, du sable, à perte de vue, qui ondulait en dunes jusqu'à l'horizon. Une théière géante se déplaçait avec une mesure étonnante considérant l'importance de sa taille, et se dandinait sur ses deux pattes. Mark entendit un petit bruit d'excitation et se retourna vivement : sa théière, qui répandait du thé un peu partout, sautillait sur ses pattes jaunes et recourbées. Devant l'intensité de son trépignement, Mark qui était dans ce rêve un personnage d'une extrême bonté, la saisit par l'anse et, après l'avoir fait tournoyer à plusieurs reprises du bout de son doigt qui s'était étiré pour les besoins de l'opération, l'envoya au loin. Le thé gicla dans l'air en une longue traînée blanche à mesure que la théière décrivait une courbe parfaite dans les airs. Mark ne vit pas où elle avait atterri : car il était très préoccupé par ses propres modifications corporelles.

En effet, lorsqu'il laissa converger ses mains vers le bas de son ventre, il sentit la présence déstabilisante d'une proéminence très raide entre ses deux jambes. Mark en fut incroyablement perturbé ; cependant, il n'eut pas le loisir de s'en préoccuper très longuement car l'apparition de ce nouvel organe avait ajouté à sa masse, et la tour basculait en avant sous l'effet du déséquilibre. Mark retint un cri et un nouveau tremblement secoua la terre.

Il présenta les mains en avant comme la tour s'effondrait, mais le carton échoua à retenir sa masse tombante et elles traversèrent la paroi en se maculant d'une substance gélatineuse et légèrement humide.

A cet instant, un formidable rugissement surgit de nulle part. Mark vit une voiture se précipiter sous la tour croulante et, sans avoir eu le temps de comprendre comment, il s'était retrouvé sur le siège passager. A ses côtés, un garçon qu'il avait furieusement l'impression de connaître. Il n'eut pas un mot et la voiture détala, laissant derrière elle la tour fumante qui se répandait avec des gargouillis spongieux sur le sable qui gémissait entre ses doigts.

Et soudain, toujours retourné, Mark retint un cri : il avait compris désormais ce qu'ils fuyaient. Une vague immense, de plusieurs centaines de mètres de haut, se précipitait sur eux. C'était un véritable tsunami ! Les dunes ondoyaient comme les vagues dans une tempête et le véhicule, en produisant des quantités infernales de poussière, sautait d'un sommet à un autre en vrombissant chaque fois plus.

Les mains de Mark étaient très glissantes mais il tenta tout de même de se cramponner quelque part dans la voiture. Cependant, dès que ses doigts effleurèrent la voiture, celle-ci se cabra en poussant un râle furieux. Alors, le garçon qui l'accompagnait jeta sa main droite entre les cuisses brûlantes de Mark. La voiture fut secouée de palpitations nombreuses et confuses ; roula plusieurs fois sur elle-même dans le sable abrasif. Puis tout s'arrêta.

Sous les décombres mécaniques, un corps en flammes rampait sur le ventre de Mark. On voyait encore, dans son visage tordu de douleur, ses yeux flamboyants et Mark eut l'impression de le connaître encore. Puis le feu peu à peu cessa ; et le garçon s'effondra en une matière flasque et visqueuse, d'un blanc épais.

La vague immense s'abattit sur Mark et un goût de thé envahit sa bouche. Il s'éveilla.

[NCT | Markhyuck] Le jeudi, de l'autre côté du couloirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant