##3 - Armand

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Aux premières lueurs de l'aube, le navire fut éveillé par un coup de canon au loin, dans les brumes matinales. Armand se redressa vivement et jeta sa couverture sur le côté, donnant un coup de coude à Jackson au passage.

« Debout, Jackson, debout ! On nous attaque ! »

Le quartier-maître ne grommela pas et s'habilla en vitesse. Armand n'hésita pas à malmener les pirates endormis à ses côtés pour les forcer à se mettre debout : l'heure était grave.

« Montez le drapeau britannique ! cria Armand en déboulant dans les escaliers menant au pont supérieur. Allez, allez, on se dépêche ! »

Il se précipita vers le gouvernail, où Charlotte avait pris son tour deux heures plus tôt. Elle rangea sa longue vue et se tourna vers lui avec effroi.

« Ce n'est pas un navire marchand, murmura-t-elle.

— Est-ce que je dois monter le drapeau espagnol, plutôt ? Ou le Jolly Roger ? Ce sont des pirates ?

— C'est la British Royal Navy, Armand. On est fichus. »

Armand serra les lèvres et sentit la panique s'installer au creux de ses entrailles. Le navire ennemi, deux fois plus imposant, s'approchait d'eux en testant ses canons dans le vide.

« Jackson, on ne peut pas lutter contre ça !

— Tu vas passer pour un lâche, si tu ordonnes la fuite, rétorqua le quartier-maître.

— Et alors ? Qui m'insultera, quand on sera tous morts ? Je me fiche d'être destitué et de retourner récurer le pont, Jackson. Qu'est-ce que ça peut bien faire ? On a deux canons en état de marche et dix hommes capables de manier un sabre, ce n'est pas suffisant !

— Il a raison, intervint Marco, qui lustrait son épée. On va mourir bêtement. »

Le vaisseau britannique tira un nouveau coup de canon, d'un modèle bien plus solide et récent que les leurs. Charlotte s'éclaircit la voix et Armand se tourna vers elle.

« C'est toi le capitaine, Armand. Tu exposes le problème et on vote. »

Le jeune homme l'entendit à peine, plongé dans ses pensées. Comment faire ? Est-ce que je peux gérer un tel combat ? La perspective de perdre le moindre membre de son équipage le terrifiait. Si je pouvais arrêter le temps et réfléchir !

« Armand, réveille-toi ! » cria Charlotte.

Il hocha la tête et sortit enfin de sa transe.

« Écoutez-moi tous ! Notre brave HMS Jolly ne fait pas le poids face à l'ennemi ! »

Les nouveaux membres de l'équipage ricanèrent doucement, amusés par le nom du bateau, mélange de His Majesty's Ship et de Jolly Roger. Les autres ne souriaient pas, pétrifiés, distinguant enfin la silhouette du monstre.

« Ils ont plusieurs canons, peut-être des armes que nous ne voyons pas. Ils sont certainement six fois plus nombreux que nous et surentraînés. Je n'aime pas fuir, vous savez que ce n'est pas mon genre, mais nous n'avons pas la moindre chance. Éviter ce genre de navire ne sera pas une mince affaire non plus, et j'aurai besoin de toutes vos forces pour y arriver.

— Ce sont des marchands de quel pays ? demanda le gros John.

— La British Royal Navy, pas des marchands. Ils sont là pour nous exterminer ! »

Les nouveaux comme les anciens tressaillirent à cette annonce. Personne n'aimait tomber sur les chasseurs de pirates au beau milieu des Caraïbes. Ils seraient tués ou capturés puis pendus, rien de plus, et leur nom disparaîtrait pour toujours des pages de l'Histoire.

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now