##16 - Charlotte

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« Ce serait presque drôle, si ce n'était pas si ridicule. »

Charlotte avait retrouvé un semblant de souffle et ne vidait plus ses poumons dans un amoncellement de tissus prudemment jetés de l'autre côté de sa chambre. Elle avait cru passer une matinée calme, se promener sur le pont pour découvrir la Chine, mais c'était sans compter sur Matthews.

« Essaie de me comprendre !

— Tu devrais boire un peu de rhum pour calmer ta migraine, ce sera certainement efficace.

— Ne te moque pas de moi ! »

Ce gars... Il ne sait vraiment pas boire, j'ai trouvé pire qu'Armand ! La tête de Matthews penchait lamentablement sur le côté, le regard perdu, les yeux assombris par le mal de crâne.

« Tu as bien plus de points communs avec mon frère que tu ne le crois, s'amusa Charlotte en croisant les bras. Je te remercie d'être venu me raconter tes petites aventures avec ta marchande chinoise, mais tu ferais mieux de dormir jusqu'à l'heure du déjeuner.

— Je pensais qu'Armand aimerait que tu en saches autant que lui, voilà tout. Tu m'as l'air en forme, je peux t'aider à prendre l'air sur le pont...

— Je l'ai fait hier pendant que tu essayais de transpercer mon frère, mais tu ne m'as pas vue. »

Provoquer Matthews ne fut pas aussi amusant qu'elle l'avait imaginé. Il ne réagit pas et soupira, mélancolique. Allons bon, si je me mets à la faire pleurer...

« Je comprends pourquoi tu nous en veux, poursuivit-elle, mais il faut laisser tout ça derrière nous. Est-ce que tu te sens prêt à parler chinois ?

— Je n'ai pas eu l'occasion de pratiquer cette langue depuis des années, et peut-être que les hommes de cette époque ne le parlent plus comme je l'ai appris.

— Mince, je n'avais pas pensé à ça... On était plutôt chanceux, en 1987.

— À quoi ressemble le monde, en 1987 ? » demanda Matthews, le visage s'animant enfin.

Charlotte songea qu'elle ne serait sans doute plus capable de discuter aussi longtemps à l'avenir. Autant en profiter, même si j'aurais préféré parler avec Kadi ou Tobias. Elle lui raconta avec force détails les rues bondées de New York, les bâtiments si hauts qu'elle n'en voyait pas le sommet, les moyens de transport bruyants et effrayants, le concert cacophonique. Matthews ne semblait pas en croire ses oreilles.

« Tu ne pourrais pas inventer une histoire pareille, je dois te faire confiance.

— Je n'utiliserais jamais un rare moment d'accalmie pour te sortir des balivernes à n'en plus finir, assura-t-elle en se redressant. Amène-moi un peu d'eau, j'ai trop parlé. »

Le capitaine britannique resta immobile quelques secondes, peu habitué à recevoir des ordres, puis se dirigea vers la réserve. Charlotte fixa le plafond de bois en l'attendant, pensive. Je comprends qu'il ait honte de retrouver ses hommes avec la gueule de bois, mais est-ce qu'il va me tenir la jambe toute la journée ? Lorsqu'il revint avec une gourde en cuir, elle le vit claudiquer légèrement.

« Un problème ? lui demanda-t-elle avant d'avaler une gorgée d'eau.

— La fatigue, marmonna-t-il en s'asseyant en tailleur contre la porte coulissante. Ma vie est très réglée, contrairement à celle des pirates. Je ne suis pas habitué à autant de péripéties.

— Bienvenue chez nous. »

Matthews n'esquissa pas l'ombre d'un sourire et ferma les yeux en soupirant. Si ça le saoule tant que ça de venir me voir, il n'a qu'à se cacher dans son lit ! Mais Charlotte n'osait pas lui dire de partir. Consumée par la curiosité, elle voulait tout savoir de cet homme qui les avait pourchassés pour finalement leur rendre service.

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now