##20 - Kadi

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Les jours qui suivirent furent un cauchemar.

Matthews avait tenté de convaincre son équipage de le laisser seul avec celui d'Armand, mais les marins avaient refusé en bloc de se séparer de lui. Ils tenaient à l'accompagner jusqu'à la mort s'il le fallait, loyaux des pieds à la tête. Kadi soupçonnait certains d'entre eux d'être devenus amis avec des pirates et de ne pas vouloir les abandonner.

Ils enchaînèrent les voyages en 1809 pour se rapprocher de la jonque dirigée par Ching Shih, qu'ils avaient fini par apercevoir de loin. La femme d'âge mûr se tenait fièrement sur le pont, magnifique et menaçante, entourée par presque deux centaines de pirates. Kadi se demandait comment les jonques ne coulaient pas sous tant d'hommes.

Lorsque le HMS Jolly se rapprochait assez près de l'armada de jonques, Matthews était incapable de comprendre ce que disait le Chinois qui leur criait quelque chose. Ils retournaient précipitamment en 1720 et devaient calmer le capitaine britannique, tremblant, honteux, inutile. Kadi passait ses journées crispée à la barre, terrifiée de faire une erreur et de toucher les jonques ennemies juste avant leur voyage vers les Caraïbes.

Au huitième essai, Matthews prit un risque inconsidéré et hurla des paroles en chinois à l'arrivée de Ching Shih. Le marin planté à l'avant de la jonque hocha la tête et lui répondit. Les deux équipages soupirèrent de soulagement. Cependant, après un échange de quelques phrases, l'équipage de Ching Shih poussa un grand cri quasi guerrier et fonça dans leur direction.

Matthews dut fouiller au plus profond de sa mémoire pour se rendre compte qu'il avait utilisé un mauvais terme et accidentellement insulté Ching Shih. De plus en plus fébrile, le coude douloureux, Kadi serra les dents. Il faut que ça s'arrête, et vite. Elle n'osait pas appeler Bill, trop fière pour prendre du repos. Matthews, concentre-toi...

La neuvième fois, le capitaine britannique considéra qu'il avait bien cerné la personnalité de son interlocuteur et décida de passer à la vitesse supérieure. Au dixième essai, il laissa les jonques se rapprocher du HMS Jolly et rejoignit celle de Ching Shih, malgré les protestations d'Armand et de Jackson.

« C'est une idée stupide ! s'exclama Armand en lui barrant la route. Si tu échoues, tu resteras coincé ici ! Peut-être que ce n'est même pas possible et que ça va provoquer une catastrophe !

— Trouve une meilleure solution. » répliqua Matthews, et le pirate dut le laisser passer.

Kadi s'autorisa à lâcher le gouvernail, épuisée. Elle n'avait pas dormi depuis au moins trois jours – du moins en avait-elle l'impression, puisque le temps s'était arrêté en pleine matinée. Elle n'osa pas regarder en direction de Matthews, terrifiée d'être vue par Ching Shih. Elle n'a peut-être jamais rencontré de gens comme moi, elle me tuerait...

Lorsque des cris retentirent du côté des jonques, Kadi se crut chez elle, entendant de loin les hurlements de ses ravisseurs. Pétrifiée, la jeune femme serra son crochet contre sa poitrine et ferma les yeux. Elle ne devait pas se laisser envahir par ses souvenirs, aussi récents soient-ils. Inspire, expire...

« Kadi ! »

Elle ouvrit les paupières, effrayée. Tobias la redressa de force et posa ses mains sur ses épaules, une intrusion qu'elle n'aurait pas apprécié de la part de qui que ce soit d'autre.

« On dirait qu'ils ont pris Matthews en otage !

— Est-ce qu'il leur parle ? Il faut qu'il leur explique la raison de notre venue !

— Il n'a pas l'air d'arriver à en placer une, il fait juste des grimaces... »

Oh non... Kadi déglutit avec difficulté. Le pire était finalement arrivé : Matthews ne contrôlait plus du tout la situation.

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now