##22 - Charlotte

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Est-ce qu'il y a vraiment un cœur dans ma poitrine ? Les poumons de Charlotte brûlaient si intensément qu'elle ne se souvenait plus d'un temps où ses organes internes avaient existé. Sa gorge n'était plus qu'un long tube de douleur qui reliait l'enfer à l'extérieur, une passerelle abîmée par des heures de toux et de râles.

Elle bougea lentement chaque articulation de son corps, bien décidée à se lever pour faire ses adieux à son frère. Débrouille-toi pour tous nous sauver, Armand, mais c'est la fin pour moi. Charlotte ne s'était jamais sentie aussi résignée. Elle savait que la mort guettait, à quelques heures d'elle, peut-être moins, mais elle ne voulait pas se morfondre. À quoi bon ?

Je préfère mourir qu'avoir aussi mal.

Revoir Armand, Tobias, Kadi et Matthews avant de partir serait une aubaine, si elle parvenait à marcher jusqu'au pont.

« Charlotte, j'ai besoin de tes conseils ! Réveille-toi ! »

Tobias ouvrit brusquement la porte coulissante. L'expression de panique qui barrait son visage se transforma rapidement en inquiétude.

« Charlotte... ? Tu as l'air... »

Charlotte tenta de compléter sa phrase avec sarcasme, mais ses cordes vocales ne produisirent aucun son. Elle porta une main à sa poitrine et tenta de se racler la gorge – en vain.

« Charlotte ? répéta Tobias en la redressant de force en position assise. Tu veux prendre l'air sur le pont ? »

Ses yeux vitreux croisèrent ceux de son ami d'enfance, qui ne lui renvoyèrent que de la peur. Son frère et elle l'avaient abandonné à son triste sort à Londres après un simple malentendu, et voilà qu'il partageait ses derniers instants. Il ne manque plus qu'Armand et je pourrai partir en paix. Tobias avait rendu son adolescence plus belle, mais il ne suffisait pas à la rassurer avant le grand saut.

Est-ce que l'enfer m'attend ? Qu'y avait-il, de l'autre côté ? Chaque pirate se posait un jour cette question, mais le purgatoire semblait plus attirant qu'une vie de servitude dans la marine marchande. Charlotte ne se considérait pas comme son frère, elle ne transportait pas le même désespoir que tous les autres pirates pour l'utiliser comme un bouclier. Toute sa vie, elle avait tenté de se protéger et de permettre à son frère de survivre, piraterie ou non. Moi ? J'ai peur. Je vais sans aucun doute finir en enfer. Combien de marchands avait-elle laissé mourir sous ses yeux ? Voter contre leur exécution n'était pas une excuse.

« Reste avec moi ! s'exclama Tobias, la ramenant brusquement à une réalité floue et douloureuse. Je vais t'emmener là-haut, tu seras mieux... »

Il passa un bras sous sa nuque, et Charlotte se sentit partir. Non, pas maintenant... Elle concentra ses forces sur l'étincelle de conscience qui restait fragilement allumée au fond de son cerveau.

« Tu es sacrément lourde, grogna Tobias en la soulevant. Je pensais m'être suffisamment musclé dans la marine marchande... »

Un rire sec et silencieux secoua sa poitrine abîmée. Fut un temps, elle aurait sans doute apprécié d'être presque enlacée par un garçon de son âge. Heureusement pour Charlotte, Tobias lui avait plu quelques mois et elle n'avait jamais regardé en arrière. Faites qu'il reste avec Armand pour toujours. Il en aura besoin.

« Charlotte, regarde-moi ! » l'implora soudain Tobias tandis qu'il grimpait les escaliers menant au pont.

Elle se força à darder des yeux vitreux dans sa direction, et le jeune homme soupira de soulagement.

« J'ai cru que tu étais partie. »

Un léger courant d'air passa sur son son visage mouillé de sueur et glaça sa peau. Enfin. Tobias la déposa sur ses pieds et le gros John l'entoura de ses bras pour qu'elle tienne debout. Vaguement consciente d'avoir l'une des phalanges sans doigts du pirate enfoncée dans sa hanche, Charlotte entrouvrit les paupières et crut que son cœur allait lâcher.

Armand, Kadi et Matthews se trouvaient sur une jonque parmi des dizaines, peut-être plus, entourés de marins chinois. Une femme les tenait en joue d'une main et s'éventait crânement de l'autre, un léger sourire triomphant sur les lèvres.

« Ils ont changé d'avis... I-ils veulent les e-exécuter... » bafouilla Tobias, perdu.

Charlotte ouvrit brusquement les yeux et s'époumona dans un dernier cri, paniquée, incapable de comprendre le drame qui se déroulait sous ses yeux.

« ARMAND ! »

Elle expira le nom de son frère jumeau aussi loin que le lui permirentses organes endommagés par la tuberculose et fut incapable de reprendre sarespiration. 

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now