##5 - Armand

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Jones pouvait devenir un allié de poids pour le HMS Jolly et son équipage. Armand l'avait emmené discuter dans une auberge éloignée de la côte, bien loin de celle que Charlotte avait choisie pour s'éclipser. Son grand sourire rassurant ne disparaissait jamais de son visage lorsqu'il parlait de la mer.

« Je passe dix jours tous les trois mois ici, avec mes hommes. Ils adorent cet endroit... Mais on ne peut pas passer sa vie à dépenser son argent en rhum et en prostituées, Armand, tu le sais bien.

— Tu trouves assez de nourriture et d'alcool, en mer ? On essaie de pêcher des requins et de récupérer des alligators sur de petites îles, mais c'est rare.

— Tu n'as pas de terres à ton nom ? s'étonna Jones, les sourcils levés. J'ai trois petites îles où j'ai laissé quelques hommes pour s'occuper de chèvres et de porcs, tu dois absolument faire la même chose ! Je comprends que ce soit la misère sur ton bateau...

— Non, ça va, on s'en sort plutôt bien... C'est un miracle, d'ailleurs ! Pas de maladies, pas de famine, assez de rhum pour ne pas avoir besoin d'eau...

— Fais attention à toi en repartant, le prévint Jones. C'est toujours quand on remonte dans son navire après une semaine sur terre et qu'on se croit invincible que la tuberculose guette. Pas le scorbut, parce que nos hommes se nourrissent mieux en ville et repartent en forme, mais le reste... Ils attrapent des saletés après avoir fréquenté certaines femmes, et le résultat peut être terrible. »

Armand déglutit, très inquiet. Il ne tenait pas à ce que son équipage soit décimé par une infection quelconque ! Heureusement, Jones l'avait mis au courant à temps : il allait inspecter tous ses hommes avant l'embarquement. Pas de tuberculose chez nous ! Il ordonnerait qu'on nettoie le pont avec de l'eau de mer et du vinaigre, peut-être mélangés avec un peu de cognac français.

Après quelques heures de discussions autour d'un rhum de bien meilleure qualité que celui qu'il avait bu jusqu'à ce jour, Armand s'inquiéta pour sa sœur. Le capitaine comprit son petit manège en le voyant regarder autour de lui.

« Tu cherches quelqu'un ?

— Oui, le quartier-maître.

— Ne te moque pas de moi, répliqua Jones en éclatant de rire. Je sais très bien que tu parles de la fille. Tous mes hommes étaient fous, sur les trois navires. Qu'est-ce que tu fabriques avec ce joli minois ? Elle s'occupe de vous, tu acceptes ce genre de choses ?

— Pas du tout ! s'exclama Armand, le cœur battant de plus en plus vite sous le coup de la colère. Charlotte est ma sœur jumelle, personne n'a le droit de la toucher !

— Oh, je vois que Monsieur ne permet pas qu'on approche sa frangine...

— Elle se débrouille très bien tout seule. C'est elle qui a instauré cette règle. Les pirates ne savent pas se tenir sans lois précises. »

Jones rit doucement, puis s'arrêta brusquement en le regardant d'un air sérieux.

« Faut pas te faire de bile pour ça, Armand, ne va pas t'énerver parce que j'ai parlé de ta sœur. C'est juste inhabituel, et plutôt impressionnant ! Mes hommes seraient incapables de ne pas lui sauter dessus dans la journée pour lui faire du mal. Pourtant, ma charte interdit le viol, sur terre comme sur mer, et j'ai déjà dû faire exécuter cinq criminels à bord.

— Charlotte a fait respecter nos lois à sa manière, elle aussi...

— Une femme forte ! s'écria Jones, amusé et visiblement épaté. Et vous venez de quel pays ? Tu as un petit accent... »

Armand raconta à nouveau leur fuite du sud de la France pour rallier Londres, puis leur engagement dans la marine espagnole pour finir avec Fuentes.

Deus Sel MachinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant