Deus Sel Machina

##15 - Armand

Armand n'avait pas vu Matthews s'éclipser discrètement quelques instants plus tôt et fut catastrophé de le voir réapparaître.

« Qu'est-ce que tu faisais à ma sœur ? s'écria-t-il en le saisissant par le col. Pas d'entourloupes !

— Ta sœur n'a pas besoin d'un chevalier servant, répliqua Matthews. Notre discussion nous regarde, compris ? »

Cette enflure retourne mes propres phrases contre moi ! Armand fit un bref passage devant la chambre de Charlotte pour vérifier qu'elle ne gisait pas morte dans son lit. Il soupira d'aise en la voyant dormir à poings fermés, secouée par quelques toux nocturnes. Armand remonta les escaliers sans faire de bruit pour ne pas la réveiller et se retrouva face à Jackson.

« Alors, Capitaine, qu'est-ce qu'on fait ?

— Notre objectif principal est de trouver un navire marchand chinois de petite taille.

— Pour accueillir quelques marins et apprendre leur langue, compléta le quartier-maître en hochant la tête. C'est parti ! »

Jackson prit les choses en main et ordonna à Bill de se diriger vers le nord. Armand, tétanisé à l'idée de croiser Tobias, fut immensément soulagé que Kadi vienne lui parler.

« Est-ce que la British Royal Navy va faire équipe avec nous ? lui demanda-t-elle, inquiète. Je n'ose pas m'approcher d'eux, ils pourraient me renvoyer à Curaçao ou pire...

— J'ai l'impression que Matthews a une faiblesse, Kadi. Il n'arrive pas à nous faire de mal en sachant qu'il y a des femmes sur le navire.

— Mais personne ne me considère comme une femme en-dehors de mon pays ! lui rappela-t-elle. Je suis du bétail, pour ces Anglais ! On me vend comme un sac de sucre, peut-être pour encore moins cher que ça !

— Ils ne t'emmèneront nulle part en Chine, on n'y échange sûrement pas d'êtres humains comme toi, d'accord ? L'équipage de Matthews est trop effrayé et incrédule pour penser à toi. Tu es une hors-la-loi au même titre que nous tous, ton cas n'est pas plus grave à leurs yeux que le nôtre. »

Kadi acquiesça et grimaça soudain en touchant son crochet.

« Ça te fait toujours mal ? s'enquit Armand en fronçant les sourcils, inspectant le moignon de la jeune femme.

— J'ai l'impression que ma main est encore là et qu'elle saigne de haut en bas. Ça n'a pas de sens...

— Est-ce que c'est une autre malédiction de Nälkäinen ?

— Dis donc, Armand, je te prenais pour un connaisseur en blessures diverses et variées. » intervint Matthews d'un ton moqueur.

Le capitaine britannique secoua la tête avec déception. Il saisit délicatement le crochet de Kadi et l'observa attentivement.

« Mutilation de ton maître ? demanda-t-il.

— Hm hm, fit Kadi, les lèvres serrées, terrifiée.

— Lâche-la Matthews, s'exclama Armand. On dirait que tu veux lui arracher ce qu'il reste de sa main !

— Pour qui me prends-tu ? »

Le capitaine britannique semblait profondément vexé. Une ombre passa sur son visage. De la tristesse ?

« Je ne suis pas un monstre, Armand. Tu penses que je pourrais achever ta sœur tuberculeuse ou torturer cette jeune femme sans raison ?

— Elle a été vendue et maltraitée sans plus de justifications, Matthews. On peut s'attendre à tout, dans ce monde.

— Je ne peux pas passer ma vie à te prouver que je suis une personne décente, mais laisse-moi aider ton amie. J'ai sur moi un objet qui pourrait changer sa vie. »