##11 - Armand

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Armand changea le linge posé sur le front de Charlotte et soupira en décollant des mèches de cheveux trempées de sueur de ses joues.

« Jackson est en train d'expliquer la situation à l'équipage. »

Sa sœur ne répondit pas, toujours plongée dans un sommeil profond. Au moins, enfermée derrière un rideau noir, elle ne pouvait plus tousser jusqu'à se blesser la poitrine. Armand continua de lui parler, espérant qu'elle puisse l'entendre. La présence de Charlotte le rassurait plus que de raison, comme lorsqu'il lui racontait sa vie pendant une insomnie. Mais ça, c'était en France, bien avant tout ce... tout ce... toutes ces catastrophes en série.

« Personne ne l'a cru, au début. Je les ai entendus crier n'importe quoi, sur le pont. Jackson a voulu leur parler lui-même, parce qu'il pensait que j'étais trop impliqué pour paraître objectif. Et je ne suis pas objectif, c'est vrai. »

Armand renifla et leva les yeux vers le plafond de bois pour ne pas pleurer. Je me suis transformé en fontaine, ces deux derniers jours. Vivre dans un monde sans Charlotte n'était pas envisageable. Il préférait être coupé en deux par l'équipage de Ching Shih. Nälkäinen aurait pu nous donner plus d'indications, nous aider un peu... L'idée d'aller dans les mers de Chine pour parlementer avec quelqu'un qui ne parlait pas la même langue que lui le paralysait de terreur. Et sans Charlotte pour me guider...

Quelques minutes plus tard, Jackson frappa à la porte et l'exhorta à sortir.

« Les pirates veulent te voir, Armand.

— Pour me dire que je suis fou à lier, n'est-ce pas ? devina-t-il.

— Vas-y, ils t'attendent. Je vais m'occuper de ta sœur, tu peux me faire confiance. »

Armand se leva avec difficulté, les jambes engourdies d'être resté aussi longtemps accroupi devant Charlotte. Jackson épousseta sa veste et son pantalon, soucieux de le rendre présentable.

« Recoiffe-toi, on dirait que tu sors d'une beuverie musicale !

— Tu n'es pas si éloigné de la réalité. » marmonna-t-il.

Je lui raconterai tout ça plus tard, ce n'est pas le moment. Armand remit ses cheveux en état et grimpa lentement les marches menant au pont, la mort dans l'âme. Il valait peut-être mieux que son équipage le renie et le renvoie au rôle de bretteur dans son coin, tout compte fait. Il n'avait plus l'étoffe d'un capitaine.

Lorsqu'ils le virent arriver, les pirates du HMS Jolly se turent instantanément. Tobias, perdu au milieu des marins hors-la-loi, l'observait avec attention. Le gros John s'approcha de lui, bien décidé à prendre la conversation en main.

« Ton pote d'enfance nous a tout expliqué, et Jackson en a rajouté une couche, déclara-t-il. Je pense que tout le monde ici croit Tobias sans hésitation, pas vrai les gars ?

— C'est clair, confirma le jeune Bill, criant depuis le gouvernail. Il est redevenu normal !

— Est-ce que c'est bien vrai, cette histoire de voyage temporel ? poursuivit le gros John. On peut aller où on veut, quand on veut, pour vivre des aventures ?

— C'est exact, confirma Armand, épuisé par sa journée mais rassuré de voir que son équipage ne le prenait pas pour un capitaine fantasque. Est-ce que ça vous intéresse de me suivre, tous ? On n'ira pas là-bas pour s'amuser, je pense que vous l'avez compris. C'est une mission pour sauver ma sœur et... »

Il secoua la main en direction d'une vingtaine de ses hommes serrés les uns contre les autres à tribord, pâles comme la Mort, essuyant avec angoisse le sang qui sortait de leurs poumons.

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now