##7 - Armand

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Il m'énerve, il m'énerve... Armand ne parvenait pas à se détendre. Il avait envie de gifler Tobias pour l'avoir embarqué dans une telle galère. Certes, la perspective de visiter d'autres époques en remplissant des missions plutôt faciles était très alléchante, mais il n'était pas dans son élément. Armand devait diriger son équipage et faire voguer le HMS Jolly à travers toutes les mers du globe, tel était le but de sa vie. Ils allaient sans doute rater leur mission et ne pas pouvoir rentrer chez eux.

« Et pour retourner en 1720, c'est aussi immédiat ? l'interrogea-t-il en s'efforçant de rester poli.

— Il faut être sur l'eau, sinon...

— Sinon quoi ?

— Sinon il ne se passe rien quand je me concentre, c'est tout ! Tu t'inquiètes beaucoup trop pour rien... »

Armand serra les dents, prenant douloureusement conscience du bien-fondé de sa remarque. Il bouillonnait de rage à son encontre, ses pensées se mélangeant sans cesse. La joie de retrouver Tobias ne pesait pas lourd face à sa colère. Je n'arrive pas à croire que je le déteste à ce point. Il le trouvait insupportablement lent, peu courageux, trop fier lorsqu'il lui répondait sèchement ou lui donnait des ordres. Je n'ai pas d'ordres à recevoir de lui ! Il a disparu de ma vie et ne représente rien !

« Tu penses tellement fort que j'ai les oreilles qui sifflent, soupira Tobias.

— C'est très bien, maugréa Armand en ramant deux fois plus vite.

— La seule chose à faire aujourd'hui est de menacer ce McHale, c'est ça ? les interrompit Charlotte en les regardant avec sévérité pour mettre fin à leur dispute. On lui dit que s'il achète une autre salle de concert, il va mourir ?

— Si on arrive à y entrer... oui. Je ne sais même pas à quoi il ressemble, pour être honnête.

— Vraiment ? s'étonna Charlotte. On t'a envoyé dans une mission délirante... Ce Nälkäinen... il se prend pour qui ?

— Un dieu pirate. » répondit Kadi, le regard perdu vers les tours de New York.

J'ose à peine y croire. Un vrai dieu ? Ils approchèrent la côte en silence, en croisant au loin d'autres petites embarcations avançant toutes seules. Armand fit la moue – le futur présentait des avantages non négligeables. Est-ce que c'est vraiment le futur, d'ailleurs ?

« En quelle année on se trouve ?

— Je crois que c'est 1987, si je me souviens bien. Je l'ai vu dans un journal, dans la rue... heureusement que j'ai appris à lire les nombres.

— Nälkäinen ne t'avait même pas prévenu ? Tu ne savais rien en arrivant ici ?

— Rien ou pas grand-chose, non... »

J'ai pitié de lui, en fait. Après la colère, la nostalgie douloureuse, la peur, voilà qu'apparaissait la pitié... Depuis son verre de rhum avec le capitaine Jones, il n'avait plus rien ressenti de positif, allant même jusqu'à pleurer. Je pensais être devenu invincible depuis ma vie en Angleterre... Armand sentit la main de Charlotte posée dans son dos et se tourna vers elle. Ils n'avaient pas besoin de parler pour se comprendre. Désolé, Charlotte, je crois que je n'arriverai pas à m'en remettre.

Il se revoyait, désespéré, petit garçon orphelin depuis quelques jours, traîné par sa tante à travers la France, finissant sa course en Angleterre. Ils avaient passé une année de stupeur généralisée, incapables de vivre normalement, paralysés par le souvenir de leurs parents, et puis... Plus rien.

Tante Hortense n'était jamais rentrée à la maison.

Ils avaient fini par errer dans les rues de Londres pour trouver à manger. La présence de Tobias lui rappelait son impuissance devant la vie étrange qui l'attendait. Il se trouvait minuscule, inconséquent, faible. Je sais que le monde a changé, que j'ai grandi, qu'il n'est plus le même non plus, mais ça va prendre du temps.

Deus Sel MachinaWhere stories live. Discover now