30. Des spaghettis pour les tueurs en série

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Une heure plus tard, au Leclerc de Crozon...

Je suis plus douée pour fuir que courir, c'est un fait.

Pourtant, aucune de ces situations ne m'empêche d'avoir atrocement mal au dos.

Cause : le sport. 

Traitement (pas spécialement) indiqué : le refus systématique de toute activité physique jusqu'à la fin de mes jours. 

— Je commence à questionner ton hygiène, Émilie, commente Jade lorsque je la rejoins au coin BD, dégoulinante de transpiration.

Blue m'a laissé le temps de changer de pantalon avant de m'emmener au boulot, mais pas celui de prendre une douche. C'était soit ça, soit arriver en retard au boulot. Résultat : j'empeste autant qu'un mammouth au sortir de l'hibernation. 

Attendez. Est-ce que les mammouths hibernaient ? 

Je ne crois pas. 

Les paroles de ma meilleure amie tournent en boucle dans ma tête durant le reste de la matinée, entre deux « aïe » particulièrement aigus chaque fois que je remets un ouvrage en rayon. Non, un livre de recettes sur la cuisson des pâtes ne se range pas avec les thrillers, même si, oui, les tueurs en série aussi mangent des spaghettis. 

Sérieusement : la chance n'a jamais été de mon côté. Je ne vois pas pourquoi je devrais forcer le destin ! Si personne ne s'est attardé sur mon texte depuis qu'il est en ligne, ce ne sont pas les juges qui vont le lire.

Et même si Mon cœur contre tes peurs avait trouvé des lecteurs, comment pourrait-il se démarquer parmi plusieurs milliers d'autres fictions ? Autant jouer au Loto, ce sera plus rentable...

Avec un soupir, je débute ma pause-déjeuner avec la certitude de ne pas taper une ligne de plus, aujourd'hui. La fatigue et le retour de Bleuenn à Brest auront définitivement raison de moi, une fois mon rendez-vous avec Gérard terminé.

Je pourrais corriger des chapitres, les relire, mais je sens déjà que la motivation m'a abandonnée.

Encore. 

Je ne sais pas si c'est vraiment une question de « motivation », d'ailleurs. Peut-être que je ne suis pas faite pour ça. Écrire. C'est quand même une drôle d'idée. Pourquoi vouloir coucher sur papier ce que l'on est incapable d'exprimer à voix haute ? Pourquoi vouloir retranscrire des mondes imaginaires qui ne nous ouvrent leurs portes que quelques pages ?

Je veux plus. Je veux réaliser mes rêves, devenir la personne qui m'inspire, me comprenne...

J'en ai marre d'être Émilie Jaouen, cette fille sans avenir qui a choisi son métier, certes, mais qui n'ose pas admettre qu'il est incompatible avec sa santé. Cette fille qui va probablement passer les six prochaines années chez ses parents parce qu'elle est terrifiée à la perspective de se retrouver seule. Cette fille qui pourrait tout faire, si elle était courageuse, mais dont la bravoure n'a d'égale que sa capacité à se ridiculiser en public. 

Mais quand j'ouvre Wattpad, en empalant un gnocchi avec ma fourchette, les encouragements de Bleuenn trouvent un écho en moi alors qu'une fenêtre pop-up apparaît : « saisissez votre chance : inscrivez votre histoire aux Wattys 2024 ! »

Comme un signe du destin. 

Des fossettes se creusent sur mes joues fatiguées. En dépit des méthodes drastiques qu'elle emploie, Blue n'a toujours voulu que mon bien. Je n'arriverai peut-être pas à lui montrer qu'elle a raison, mais je peux toujours essayer, non ? 

Galvanisée, je décide de lui assurer que oui, je vais participer aux Wattys, et que oui, je mettrai tout en œuvre pour achever Mon cœur contre tes peurs avant la date limite.

LES AMOURS ÉPONYMES 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant