Chapitre 32

3.2K 339 57
                                    

Roxanne faisait basculer depuis assez longtemps maintenant pour qu'il soit froid un morceau de pomme de terre d'un bout à l'autre de son assiette sans pouvoir se résoudre à piquer dedans et le porter à ses lèvres. Le silence dans lequel avait été plongé le château entier toute la journée était accablant, et pourtant personne, elle la première, ne semblait capable de le briser. Même Laval, à ses pieds, n'avait pas émis le moindre son depuis le début du repas. De même que Iain. Roxanne ne savait que faire pour apaiser sa douleur et faire disparaitre le voile tourmenté du fond de son regard. Il avait assumé ses responsabilités de laird à la perfection tout le temps qu'avait duré la cérémonie d'adieu qu'on avait finalement pu adresser à Glenn.

Les membres du clan étaient déchirés entre la tristesse d'avoir perdu un des leurs et la colère que leur inspirait le geste de Iain de leur avoir interdit de le voir une dernière fois. Elle avait vu le corps, d'aussi près que son époux, et elle pouvait affirmer que personne ne voulait cette dernière vision d'un être aimé. Heureusement, Cormag et les hommes qui les avaient accompagnés avaient soutenu leur seigneur dans sa décision. Et le pauvre hère qui avait découvert le corps à la frontière avait été conduit dans une chambre du château dans un état d'abattement que Roxanne comprenait tout à fait. C'était un jeune garçon, récemment promu patrouilleur puisqu'ils en avaient doublé les effectifs lui avait expliqué Iain quelques jours plus tôt. Il serait injustement marqué à jamais.

Mais plus encore que le désaccord du clan, ce devait être l'affliction si profonde dans laquelle se trouvait sa cousine qui mettait son mari dans un tel état de détresse. Moira avait aimé son époux comme elle aimait Iain. Elle ne la connaissait que très peu, mais elle avait remarqué l'affection sincère qui unissait les époux lors de son arrivée au sein du clan, des mois plus tôt.

Glenn avait été le premier messager que Iain avait envoyé à son frère lorsqu'il avait eu connaissance de son passé tragique. Il l'avait envoyé seul. Roxanne savait qu'il s'en sentirait coupable, qu'il mettrait sur lui la faute de ce meurtre odieux et barbare. À l'époque, il n'avait pas conscience de la menace que représentait Berkeley, mais cela il ne se l'avouerait jamais, pas plus qu'il ne se pardonnerait la disparition du guerrier. Et pourtant personne à ce moment là n'aurait pu deviner que Berkeley l'avait déjà retrouvée, qu'il épiait déjà leurs faits et gestes. Cette terrible disparition pesait sur ses épaules à elle; c'était-elle qui leur avait amené cette menace. C'était elle qui les mettait en danger.

Un vacarme retentissant éclata soudain dans la cour du château, la tirant de ses tristes pensées. Derrière les grandes portes closes, Roxanne entendit des hommes courir, certains aboyant des ordres, d'autres réclamant des armes. Le silence qui pesait sur l'assemblée devint plus pénétrant encore. Ils étaient attaqués. Le coeur de Roxanne cessa de battre dans sa poitrine; cela ne pouvait être que Berkeley qui les attaquait alors qu'il savait les avoir affaiblis, alors qu'ils étaient vulnérables. Sa fourberie était donc sans limite.

Déjà, Iain avaient bondi sur ses pieds, les yeux écarquillés de surprise, sorti lui aussi de sa transe amère. Il voulut se précipiter vers la sortie en même temps que Roxanne songeait à l'en empêcher, mais il n'eut pas à le faire car Ewen, le petit palefrenier, apparut soudain en poussant la grande porte de toutes ses forces pour pénétrer dans le château.

-Que se passe-t-il ? Interrogea durement Iain alors que le petit garçon redoublait d'efforts pour refermer la porte derrière lui.

-Ils sont arrivés de nulle part, laird. Ils sont apparus au milieu du pont-levis sans que personne ne les ait vu arriver ! Teague m'a envoyé ici et m'a chargé de vous dire que nos hommes ont été pris par surprise, vous devez venir immédiatement!

-Par qui ! S'énerva son époux en dégainant sa claymore, prêt au combat alors que Roxanne sentait ses jambes céder sous son poids, la forçant à se rasseoir.

La rage de vivreWhere stories live. Discover now