Chapitre 36

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Il était à genoux sur un sol dur et terreux. Cette terre, il ne la voyait pas, mais il était certain qu'il la reconnaitrait s'il y appuyait ses poings liés. On lui avait bandé les yeux, enfin, on lui avait recouvert le visage d'un sac de toile afin de le trainer dehors, loin de la grande cour et du village. Il était prêt à parier qu'une tombe avait déjà été creusée à son attention et qu'elle l'attendait, froide et sombre, quelque part devant ou derrière lui.

Il en eut la confirmation lorsqu'on lui arracha brusquement son masque de tissu. Et au devant du trou, aussi long et large que lui, taillé sur mesure pour son prochain résidant, Roxanne. En juge partiale, elle fixait sur lui un regard froid et absolu. Ce regard ne l'étonnait pas, ne le choquait pas. Contrairement à ce qu'il avait imaginé, il n'avait pas mal au coeur, n'avait pas peur. Il était en colère, enragé même. De là où il se tenait, humilié, prosterné dans la boue, il distinguait les visages fermés, délivrés de tout espoir, des membres enchaînés de son clan.

Une lourde main s'abattit sur son épaule, mais il n'accorda pas l'attention qu'on lui quémandait. Au lieu de lever les yeux sur celui qui serait son bourreau, il fixa son regard sur le visage de la jeune femme qui lui faisait toujours face. Il était ironique qu'elle soit encore la dernière image qu'il souhaitait emporter, que son dernier acte de vie et liberté soit pour elle.

Il ne sentit pas la lame de Maxence glisser contre sa gorge, mourir fut sans douleur. Mais lorsqu'il bascula en avant, il fut brusquement retenu par ce qui lui sembla être un linceul invisible.

Iain se réveilla fiévreux, trempé de sueur, empêtré dans les fourrures de son lit qui lui emprisonnaient les jambes et la taille tant ils s'était retourné sur le matelas. Le rêve qu'il avait fait lui fit monter la bile du ventre et le plongea dans un état de rage qu'il n'avait plus connu depuis de longues années.

Il avait à moitié conscience que ce cauchemar n'était qu'une projection du récit qu'on lui avait fait de la mort de son père. S'il avait été plus lucide, moins pétri de fatigue et de colère, il se serait rappelé que Roxanne ne le trahirait jamais de la sorte, qu'elle n'irait tout du moins pas jusqu'à le faire tuer. Mais lorsqu'il tendit le bras et ne trouva à ses côtés que des draps froids, il laissa le doute et la rancoeur gagner un peu plus de terrain dans son esprit.

La nuit était encore jeune, mais il fut incapable de se recoucher. Aussi préféra-t-il sortir à cheval, seul. Les sentinelles ne firent pas de commentaire lorsqu'elles le virent arriver devant la herse sur son cheval impatient. Il avait du laisser sa monture habituelle au box étant donné que c'était avec elle qu'il avait poursuivi — sans succès — les MacPherson. Il avait donc choisi un robuste hongre gris qui n'avait pas travaillé de la journée. Il avait hésité un instant à prendre le cheval de Roxanne, il avait toujours été curieux de s'essayer à cette bête farouche. Mais il s'était rapidement rétracté, décidant qu'il n'était absolument pas d'humeur à être désarçonné par l'animal de sa revêche compagne.

Il avait fait le tour de son domaine, longé une bonne moitié de ses frontières, avait croisé deux patrouilles étonnées de le voir là et avait constaté avec satisfaction — même s'il n'en avait pas douté — qu'il suivaient scrupuleusement ses directives. Il avait fini par atteindre le point le plus éloigné du château puis était rentré au galop. Lorsqu'il avait pénétré à nouveau l'enceinte de sa demeure, l'aube avançait ses couleurs dans le ciel, chassant le noir ténébreux de la nuit, et le village s'activait doucement.

Il arriva juste à temps pour le premier repas de la journée et à sa grande surprise Roxanne se tenait à sa place habituelle, droite et fière dans le siège posté à la gauche du sien.

Roxanne avait passé une terrible nuit. Cela l'avait mise de très mauvaise humeur et avait, sinon augmentée, au moins laissé sa rancoeur envers Iain intacte. Elle avait détesté la façon dont il lui avait parlé la veille; son ton avait été humiliant, ses paroles blessantes. Doutant plus qu'elle les savait fausses. Iain l'aimait. C'était une certitude à laquelle elle s'était raccrochée ces derniers temps, grâce à laquelle elle avait finalement décidé de croire en l'avenir. Il l'avait sauvée de ses démons intérieurs, s'était engagé à la délivrer de celui qui la pourchassait... Lui-même ne pouvait-être que conscient de l'équilibre qu'ils s'apportaient l'un l'autre, du bonheur qu'ils s'étaient créé, des sentiments qui s'étaient développés entre eux... Alors pourquoi tous ces mots? Pourquoi cette méfiance? Pourquoi reculer soudain devant le bonheur à portée de main? Il y avait forcément quelque chose...

La rage de vivreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant