Chapitre 41

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Roxanne était penchée sur le petit corps endormi près d'elle dans le grand lit de velours depuis plusieurs heures, pensive, lorsque la porte de la chambre s'ouvrit sur Berkeley. Elle sut que c'était lui, sans même lever les yeux, à la tension malsaine et insupportablement familière qui s'installa entre eux. Elle garda le regard obstinément braqués sur le bébé inconscient de la situation, profitant d'un sommeil paisible qui ne durerait plus longtemps.

Il ne dit pas un mot, ne fit pas un bruit, resta là immobile à la regarder, à scruter son être tout entier à tel point qu'elle pouvait presque sentir son regard glisser le long de son corps. Alors Roxanne sut. L'heure était venue.

L'air changea littéralement de densité, devint presque trop épais pour être respiré. Il pénétra dans la pièce et referma la porte derrière lui dans un bruit mat sans la quitter du regard. Elle savait qu'il la fixait, devinait précisément l'air qu'il devait avoir, la lueur sadique et impatiente qui devait briller au fond de ses yeux. Elle avait tant vécu cette scène en rêve, dans ses cauchemars, que cela aurait pu en être un. Comme elle l'aurait souhaité en cet instant... Se réveiller, terrifiée mais en sécurité, entre les bras musclés, protecteurs, de Iain.

Roxanne secoua vigoureusement la tête puis leva enfin les yeux sur le monstre aux aguets qui l'épiait. Elle refusait de penser à l'homme qu'elle aimait, elle ne voulait pas le salir de ce qui allait se passer, y associer son image, son visage. Elle garderait intacts les instants de bonheur et d'amour qu'ils avaient partagés, mettrait ce qui allait se produire dans une toute autre case de son esprit.

Elle ferma les yeux le temps d'une douloureuse seconde pendant laquelle elle décida qu'elle se battrait jusqu'au bout, puis elle souleva le bébé endormi et sortit du lit — dont le rouge des draps lui semblait bien ironique — en prenant soin de le faire du côté opposé de celui où se tenait son bourreau. Dans le mouvement, le petit ouvrit les yeux, bailla et remua dans le linge dans lequel il était emmitouflé, alors elle le berça doucement, feignant un calme qui ne l'habitait pas du tout.

Désirant plus que tout montrer à Berkeley que, alors qu'il avait contrôlé chacun de leurs échanges depuis leur rencontre, elle était cette fois maîtresse de la situation — en partie du moins. Elle entendit le bruit, pas vraiment un son, pas vraiment une exclamation, qu'il laissa échapper, étonné à n'en pas douter de la voir moins impressionnée qu'à l'accoutumée. Elle-même était ébahie d'avoir autant de contrôle sur ses émotions, alors que la terreur, pareille à une tempête, faisait rage en elle.

Elle s'empara de la robe, pas très propre mais confortable, dans laquelle elle était arrivée et qui avait remplacé celle qu'elle portait à présent sur la petite coiffeuse. Elle en fit un petit nid arrondi et plus ou moins moelleux sur lequel elle posa l'enfant dans le but de l'éloigner autant que possible des horreurs qui allaient se produire. Elle tendit fébrilement les bras vers le meuble de bois, mais s'arrêta quelques centimètres au dessus, le bébé toujours entre les mains. La tension ambiante augmenta encore d'un cran alors que tout s'apprêtait à basculer, alors que le silence allait être remplacé par les cris, l'immobilité par le chaos. Enfin, elle lâcha son précieux fardeau.

Puis tout se passa très vite. Lorsque le bébé ne fut plus dans ses bras, elle se précipita vers le fond de la chambre en espérant arriver à placer à nouveau le lit entre Berkeley et elle, mais il fut plus rapide et, comme le jour de sa première agression, il l'attrapa par les cheveux. Il le jeta ensuite sans ménagement sur le lit, elle atterrit durement malgré la souplesse du matelas au milieu des coussins en poussant un grand cri et pendant un instant les tissus épars de sa robe obstruèrent son champ de vision.

Elle sentit le corps de Berkeley s'abattre sur elle avant de le voir, ce que dans le fond elle préféra. Mais dans sa chute, elle avait replié une de ses jambes contre son ventre, ce qui rendit leur position beaucoup plus avantageuse pour elle que pour son assaillant; elle put en effet lui donner un assez puissant coup de genou dans l'abdomen. En représailles, il lui administra un violent coup au visage qui la laissa complètement étourdie entre le bourdonnement aigu qui résonna à ses oreilles et le goût du sang qui lui envahit la bouche.

La rage de vivreWhere stories live. Discover now