Chapitre 17

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Jamais Roxanne n'avait été aussi stressée de chanter devant un public. Elle l'avait fait des dizaines de fois, en anglais, en français et en gaélique. Elle avait chanté pour sa famille, pour le roi d'Angleterre, mais devant Iain, tout était différent. Elle savait qu'elle chantait bien, très bien même, mais il restait un risque que cela ne lui plaise pas.

Elle laissa un des Anglais installer un siège pour elle au milieu de ceux qu'occupaient les hommes, puis s'y installa en tournant le dos à l'âtre qui diffusait dans la pièce une agréable chaleur et qu'on avait allumé car, même en pleine été, le soleil ne parvenait pas à réchauffer les pierres froides des murs épais de la grande salle. Par ailleurs, Roxanne avait déjà réalisé de nombreuses prestations, et l'année de silence qui venait de s'écouler n'avait pas suffit à lui faire oublier comment tirer parti de son environnement. Elle imaginait tout à fait la façon dont la lumière des flammes devaient la nimber, et quels reflets devaient faire miroiter ses cheveux.

Ainsi installée, elle réfléchit un instant, laissant le suspens s'installer dans son auditoire, puis entama les premières notes de sa chanson préférée. Il s'agissait d'une balade de marin qu'elle avait chantée et rechantée à ses compagnons de voyage lorsqu'elle avait pris la mer avec Maxence. C'était une chanson d'amour, une chanson de pirate. C'était un peu trivial comme thème, mais elle doutait que qui que ce soit dans le public du jour comprenne un traitre mot de français.

Le français lui avait paru approprié pour une première prestation. Les Anglais n'auraient pas manqué de le lui faire remarquer si elle avait chanté en gaélique, ce qui n'avait pas grande importance au fond, mais elle désirait ne pas troubler la fin de cette soirée qui s'était mieux passée qu'elle ne l'aurait cru. Elle n'aurait pas non plus pu chanter en anglais, cela aurait à coup sûr froissé les MacBains. Alors sa langue maternelle, au sens propre du terme, lui avait semblé être un choix idéal.

Elle laissa ses doigts se réhabituer à l'instrument avant d'y joindre les paroles. Elle chanta d'abord très bas, puis sa voix se fit plus fluide et elle ferma les yeux, laissant les amants de sa chanson l'emmener vers des îles qu'elle ne reverrait plus. Ce n'était pas une chanson très longue, alors lorsqu'elle arriva à sa fin, elle répéta le refrain une dernière fois, plus bas que les fois précédentes, plus lentement, et le pirate dit une dernière fois adieu à son aimée.

Quand elle eut terminé, la grande salle fut plongée dans un silence qu'elle n'apprécia pas. Elle garda les yeux attachés aux cordes de l'instrument et attendit que quelqu'un fasse un commentaire, qui ne tarda pas à arriver.

-Je vous avais bien dit qu'elle chantait! S'écria donc Lawrence en bondissant sur ses pieds.

Un murmure approbateur parcourut les quelques MacBains qui l'avaient écoutée. Elle se douta qu'ils ne pouvaient faire autrement que de l'approuver, sans quoi cela révélerait aux anglais les quelques litiges qui les opposaient à elle. Et s'ils avaient réellement apprécié, ils n'auraient jamais osé le lui montrer directement.

-Nom de Dieu! S'exclama Cormag en s'approchant d'elle. C'est un talent incroyable que vous avez là milady! Vous nous l'avez bien caché jusqu'à présent!

-C'est gentil, répondit-elle timidement en caressant le bois sculpté de l'instrument. Cela faisait longtemps que je n'avais pas joué, j'espère que ce n'était pas trop mauvais.

-Mauvais? Cria presque Lawrence. La plupart des musiciens n'arrivent jamais à un tel niveau de maitrise. Et votre voix est enchanteresse!

-Ne dites pas cela s'il vous plait! Répliqua-t-elle avant de pouvoir s'en empêcher. Je vais me retirer pour la nuit à présent. Veuillez m'excuser.

Elle s'échappa aussi vite qu'elle put sans commencer à courir, et son coeur, qui battait à présent la chamade, ne se calma un peu que lorsqu'elle rabattit derrière elle le battant de la porte de la chambre qu'elle partageait avec Iain. Elle raviva distraitement le feu, se débarrassa de sa robe pour ne rester plus qu'en chemise, défit sa coiffure, s'emballa dans un tartan MacBain qui avait été plié et déposé sur la banquette au pied du grand lit, se saisit de la chemise que Iain avait portée la veille et qu'il avait jeté au milieu de la chambre lorsqu'ils avaient fait l'amour, et ce n'est qu'après tout cela qu'elle s'autorisa à s'asseoir devant le feu et à laisser couler ses larmes.

La rage de vivreWhere stories live. Discover now