32bis - Fil rouge / interlude 2

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« Oh, je suis tellement heureuse pour Ashley !  Ça a l’air d’aller mieux dans sa vie !

— Parfois, la vie nous mitraille de malheurs sur une cadence trop élevée. Puis lorsqu’on croit avoir réussi à lui échapper, elle nous attend, tel un chasseur aux aguets. Elle nous appâte avec quelques bonheurs pour éviter notre fuite, et elle a préparé en secret un piège encore pire.

— Je vous en prie, Laekh, ne me gâchez pas mon naïf plaisir d'assister à un peu de répit pour cet enfant ! D’autant que vous risquez de dévoiler l’intrigue future, ce serait dommage...

— Lorsqu'on ose évoquer le destin dès le début d’une histoire, on ne s'embarrasse pas ensuite de mystères éculés. Mais admettons que votre inquiétude soit légitime, et parlons d’autre chose. Je perçois de votre part un fort instinct maternel vis-à-vis du personnage principal. Vous a-t-il particulièrement touchée par sa nature de victime ?

— Au contraire, c’est le fait qu’il refuse sa condition qui me fait l'admirer, et l’apprécier. Il ne se plaint pas, personne n'entend ses pleurs solitaires, tous le croient indestructible. Lui-même n'entend pas sa propre peine. Il s’entête, il refuse la défaite. Je sens qu'il ira jusqu’au bout ! J’aime les obstinés, je n'ai aucune compassion pour les victimes… Peut-être n’est-ce pas une opinion populaire.

— Qu’importe la popularité ! Ashley serait heureux d’avoir votre soutien, car son créateur lui porte des sentiments ambivalents. Il lui ressemble trop, il ne parvient pas à l'aimer.

— Moi, je comprends Ashley… L'adage surévalué est qu'il est difficile d’aimer quelqu’un ou d’être aimé par quelqu’un, tant qu’on ne s'aime pas soi-même. Mon autre opinion impopulaire est qu'il serait plus facile de s’aimer soi-même si quelqu’un nous aimait malgré nous.

— C’est joliment tourné, Agathe, la suite de l’histoire vous donnera peut-être raison…

— Ou pas ?

— Exactement, vous m’enlevez les mots de la bouche !

—  J’ai aussi de plus en plus l’impression de pouvoir vous comprendre…

— Soyez donc sincère et dites-moi franchement que vous n’appréciez pas cette impression.

— Je serai sincère, Laekh. »

La prunelle de vos yeux - Tome 1 : RévélationsWhere stories live. Discover now