La prunelle de vos yeux - Tome 1 : Révélations

10 - L'Ombre et l'Espoir

« En attendant le retour de Jaspar, allons nous laver. »

Lucia venait de lancer une remarque fort appropriée au vu de leur état, mais totalement inapplicable étant donné l’environnement. Kyle regarda tout autour de lui : un océan de sable, une mer désertique.

« Okayyy, fit-il avec circonspection.

— Vanille ou menthe ?

— Hein ? Euh… je préfère la glace à la vanille. »

La femme rit comme s'il s’agissait d'une bonne blague. Elle tapota légèrement l’avant-bras de Kyle, de la même façon qu'elle aurait flatté l’encolure de son chien.

« Je parlais du parfum du gel douche que tu souhaitais, pas de sorbets ! lança-t-elle hilare. Où veux-tu trouver des glaces par ici, voyons ! »

L'ex-étudiant ne souhaitait pas se spécialiser en psychiatrie, mais il était bien connu, afin de préserver une tension artérielle stable pour un patient, qu'il fallait éviter de le contrarier tant que la situation ne relevait pas d'une urgence capitale. Le jeune homme se contenta donc de grimacer un sourire gêné. Il répondit sobrement :

« Menthe.

— Suis-moi. »

Sans discuter, Kyle obéit à la petite femme qui, il ne pourrait jamais l’oublier, avait tué un dragon noir pour fouiller dans ses entrailles. Derrière une dune, il découvrit une grande oasis dans laquelle deux tentes circulaires en toile claire avaient été installées. L’îlot vert, qui se détachait du fond ocre du désert, entourait un lac d'une taille bien supérieure à ce qui aurait été plausible dans de telles conditions.

Depuis la rencontre avec Lucia, la rationalité du rescapé bénéficiait d'un contrat de travail à mi-temps. Alors, au lieu de s’étonner de la présence stable et du grand volume de cette solution aqueuse – contenue dans une immense cuvette naturelle au fond sableux, exposée à un soleil de plomb – le jeune homme hocha doucement la tête en signe d'assentiment. En prélevant un peu d'eau du lac, il leur serait tout à fait possible de se laver, pensa-t-il avec satisfaction. Il osa espérer un peu d'eau tiède pour ses ablutions ; il fut exaucé au-delà de ses attentes.

Gel mentholé à la main, Kyle plongea avec délice son corps dans de l'eau chaude. Malgré l’étroitesse de la baignoire instable en inox dans laquelle il trempait, ses muscles martyrisés furent aussi soulagés que lui-même.

Peu de temps après, en dehors de sa tente, il retrouva Lucia. Ses cheveux, rassemblés en queue de cheval haute, sentaient la vanille. Contrairement à lui qui avait dû renfiler ses vieux habits dégoûtants, elle avait revêtu une autre robe estivale. Aux pieds, elle portait des sandales ouvertes. À l’arrivée de Kyle, la Gardienne sourit en tournant vers lui son petit visage mangé par d’énormes lunettes de soleil. Les verres, polarisés et roses, renvoyèrent au jeune homme le visage amaigri d'un prisonnier qui attendait l’annonce, soit de sa libération, soit de son injection létale. Au sein du rescapé, la joie simple d'un bain après une semaine infernale avait été remplacée par l'angoisse d’un avenir hors de son contrôle.

« Vous… tu veux manger quelque chose ? demanda-t-elle gentiment.

— Merci, peut-être plus tard, marmonna-t-il avec le sentiment qu'on proposait le dernier repas au condamné. Votre collègue en a pour longtemps ?

— Je n'en ai pas la moindre idée. Pour nous Gardiens, c’est assez facile de rencontrer un membre du Conseil, mais pour ce qui est de savoir combien de temps les dignitaires prendraient pour décider…. Cette situation est vraiment hors normes !

— Vous venez d'une sorte de dimension parallèle à la Terre ? Ou d'une autre planète ?

— Un peu les deux… »