La prunelle de vos yeux - Tome 1 : Révélations

10 - Toucher sa cible

L’organisation des groupes d’étude à partir de la quatrième année à l’Université des Gardiens visait à habituer les jeunes gens à la façon dont certains d'entre eux, une fois parvenus à la prestigieuse fonction, seraient plus tard organisés.

Que l'intervention se passât sur Utopia, sur Terre ou sur un outremonde, la constitution des équipes de Gardiens lors de ces missions sur le terrain ne visait pas seulement à réunir les meilleurs, mais plutôt les meilleurs dans leur domaine. Il était rare qu'une intervention fît appel à moins de deux Gardiens ensemble. Suivant la loi de l'Équilibre, on cherchait donc la complémentarité des membres d'une même section.

Le système des groupes d’étude avait été pensé dans cette optique. On souhaitait également éviter une trop grande disparité de niveaux entre les diverses équipes. On ne voulait pas d'un rassemblement des meilleurs étudiants entre eux, qui délaisseraient les moins favorisés dans certains domaines, en les ignorant ou en les brimant.

L'Université condensait dans ce système l'état d'esprit prôné sur Utopia : élitiste mais pas individualiste, au contraire. Ce dispositif, ou un autre similaire, existait depuis des temps immémoriaux. La méthode avait évolué au gré des changements d'apparence de l’Université mais son efficacité perdurait. Le système fonctionnait.

Ce matin-là, résigné à devoir servir de tuteur à des étudiants stupides, et pour la plupart plus âgés que lui, Ashley fut agréablement surpris par la façon dont se déroulait la première rencontre des membres du groupe qu'il dirigeait.

Certes, ils avaient énormément de lacunes, dans beaucoup de matières principales, ce qui expliquait leur faible moyenne générale. Cependant, la plupart brillaient dans leur domaine de prédilection, et tous avaient un discours plutôt intéressant. Certains posèrent même des questions judicieuses.

Après avoir fait un tour d’ensemble pour les présentations, les adolescents discutèrent de leur organisation : à quel endroit, à quelle fréquence se rencontrer ? De quelle façon étudier seul, afin de réviser de façon optimale ? Quelles matières privilégier pendant les débats argumentatifs planifiés lors des rencontres, pour tous bénéficier de ces travaux communs ?

Fort de son expérience dans le domaine de l’optimisation de son temps et de l’organisation de ses révisions, le dirigeant du groupe donna autant de conseils que possible à ses camarades. Ils l’écoutèrent religieusement en prenant des notes. Enfin, au bout d’une heure et demi, on en arriva à la conclusion.

Ashley avait sorti un grand bloc de feuilles vierges pour synthétiser ses idées concrètement. Il voulut schématiser l'ensemble des matières où il était en général indispensable d’avoir une bonne note, soit un minimum de 80% ; des matières où chacun des étudiants du groupe était excellent, soit une note supérieure à 90% ; et des matières pour lesquelles certains étaient sur la sellette : les moyennes inférieures à 65%. Jusque-là, tous les camarades d'Ashley suivaient son discours et voyaient le but qu’il poursuivait.

En revanche, quand il se mit à griffonner des lignes de statistiques compliquées, de formules mathématiques, de calculs quasi-ésotériques... un sentiment de communauté rassembla son auditoire. Le même flottement gêné parcourut l’assistance, le même vide un peu tremblant se retrouva dans le regard de chacun des étudiants autour d’Ashley.

Les yeux fixés sur sa feuille, inconscient de la réaction de ses camarades, l’orateur mit le point final à sa présentation : « Et voilà ! »

À ce moment-là, intervint Emma, de son vrai nom Ameline Mei Youn, une fille de l’âge d'Ashley. Elle était un peu plus perspicace que les autres – ou peut-être plus adaptée pour la survie. Elle demanda poliment un graphique représentatif à partager dans le groupe, et qui serait plus rapide à consulter pour tout le monde.