23 - Le glacier et le brasier

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Ça allait pour Ashley. Il n’était pas mort, c’est donc que ça allait, n’est-ce pas ?

Quelques jours après l’incident avec l’arbre, le groupe d’étude d'Ashley se rassembla à la bibliothèque. Il avait été question que la réunion se passe chez Maewon, mais la veille celui-ci avait demandé à se rencontrer plutôt à la bibliothèque, s’excusant du fait que sa chambre n'était pas présentable.

Ils durent parler un peu moins fort que s'ils s’étaient trouvés dans un lieu privé, mais le groupe en général n’était pas habitué à parler bien fort ou à beaucoup plaisanter de toute façon.

Leur superviseur fit l’exposé d’introduction. Il recueillit les commentaires des uns et des autres. Il donna la parole successivement aux membres du groupe, puis conclut la séance. Tout ça d'un ton neutre, le visage n'exprimant rien hormis la concentration nécessaire pour diriger les travaux des autres.

Une fois les autres étudiants dispersés, Maewon, le cœur serré, s’avança pour parler à celui qu'il considérait toujours comme son petit ami. Il lui demanda comment ça allait. Ashley répondit que sa santé était bonne, il le remercia de sa sollicitude et lui demanda à son tour s'il se portait bien. Le cœur de son interlocuteur se contracta encore plus, mais il tenta tout de même de reparler de leur couple. Le blond répliqua d’une voix indifférente qu'il ne comprenait pas la question.

Pendant qu'il combattait la boule dans sa gorge, Maewon toucha le bras de son ami d’une main tremblante. Sans bouger, l’autre le fixa dans les yeux sans aucune expression sur le visage. Le lac de son regard était devenu un glacier. Le malheureux éconduit s’excusa à voix basse et partit précipitamment.

Resté seul, Ashley rangea ses affaires dans son sac, le passa sur une épaule et sortit de la bibliothèque. Dehors, il leva le visage vers le ciel. Les yeux fermés, il resta un instant debout devant la bibliothèque, sous les rayons des soleils jumeaux, en cette belle journée de printemps.


Les jours qui suivirent, d’autres tentatives de Maewon rencontrèrent la même sorte de réaction, ou plutôt de non-réaction, de la part d'Ashley. Une huitaine de jours passèrent sans aucun contact.

L’après-midi d'un jour de congé, peu avant la réunion suivante de leur groupe, Ashley entendit des coups très légers à sa fenêtre. Un moineau couleur de fumée était perché à l’extérieur. Il déposa un petit rouleau sur le rebord de la fenêtre avant de repartir à tire-d’aile.

Ouvrant la vitre, le jeune homme récupéra la missive, qu'il ne déroula pas. Elle fut jetée telle quelle dans l’évier en inox de la cuisine. Il alla à son bureau. Avec une clé tirée de son portefeuille, il ouvrit un tiroir, en sortit une poignée de petits parchemins déroulés, qu'il jeta dans l’évier également. Puis, une main tendue au-dessus des papiers, il déclencha un feu parfaitement contrôlé.

Les flammes dévorèrent toutes les lettres remplies de l’écriture soignée de son ex-petit ami. Sans faire la moindre fumée, elles emportèrent tout ce qui avait été précieusement conservé jusque-là. Le jeune homme resta debout, à contempler les mots mangés par le brasier devenir cendres. Ses yeux restèrent obstinément secs.

Une fois les poussières de souvenirs évacuées par le filet d'eau provenant du robinet de la cuisine, il sortit une casquette en tissu sombre de son placard. Il la regarda un instant en hésitant sur la marche à suivre : la jeter, la donner aux œuvres sociales de l’Université, la rendre à celui qui l’avait achetée ?

La prunelle de vos yeux - Tome 1 : RévélationsDonde viven las historias. Descúbrelo ahora