18 - Dialogue

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Dans le silence de la nuit, une voix chuchota :

« Que fait-on maintenant ?

— Tu as encore envie ? répliqua une autre voix en riant doucement.

— Mais non, idiot ! Enfin… si… mais là n’est pas la question !

— Là est toute la question. Nous aurions dû réfléchir à cette question avant d’essayer de ne plus nous voir pendant une semaine. On n’arrête pas une drogue aussi brutalement.

— Ash, ce n’est pas drôle ! Même si c’est en partie vrai…

— Je préférais quand tu m'appelais Ashley tout à l’heure, annonça rêveusement la seconde voix. Tu as une façon très sensuelle de prononcer mon prénom en entier…  Je viens de me rendre compte que tu ne le dis en entier que pendant les moments très… intimes.

— Je… n’y avais même pas fait attention, avoua la première voix. Bref… Que fait-on ? On n'a toujours aucun mode de fonctionnement valable ! »

Un long silence suivit la question. Perdu dans ses interrogations, Maewon tourna les yeux vers son interlocuteur allongé à côté de lui sous les draps. Un regard certainement tout aussi perdu que le sien lui répondit sans un mot.

« On n’est pas sorti de l’auberge.

— À qui le dis-tu ! soupira Ashley. »

En se levant pour se rhabiller, il se demanda quelle partie de lui-même avait eu envie de répondre « Je n’ai peut-être pas envie d'en sortir » et quelle autre partie l’avait fait taire. Au lieu d’exprimer toutes ses pensées, il dit simplement :

« Il est tard. Ça ne m’enchante pas, mais je dois y aller.

— Tu ne restes pas ? »

Ashley se pencha pour embrasser les lèvres boudeuses et raisonner leur propriétaire :

« Je te rappelle que tu as un exposé à finir pour demain… sauf si tu veux que je t’aide pour écrire la conclusion… ou plutôt ne jamais l’écrire ?

— Non. Tu as raison, soupira son interlocuteur, convaincu. »

Après leurs retrouvailles passionnelles, ils avaient pris le temps de parler de choses et d’autres. Maewon avait exprimé son tracas à propos de cet exposé pour lequel il n’arrivait pas à trouver de conclusion satisfaisante. La discussion avait alors dégénéré vers une autre forme de satisfaction.

Au bout du quatrième round, il allait bien falloir mettre fin aux retrouvailles, être raisonnable deux heures, et finir enfin ce stupide exposé déterminant pour sa moyenne de l’année !

« Bon courage, Maewon.

— Merci. Bonne nuit à toi, petit veinard. »

Un sourire en coin, puis le blond rétorqua : « Il y a eu deux veinards tout à l’heure. »

Son partenaire eut envie de lui balancer un oreiller en pleine tête ; il se contenta de ricaner. Il appréciait l’évolution de la personnalité d’Ashley, comme si celui-ci se permettait en certaines occasions de dire enfin ce qu’il pensait. En revanche, il restait toujours assez peu volubile avec les autres. Maewon se sentit un peu flatté du traitement spécial dont il bénéficiait.

« Plus sérieusement, ta question de tout à l’heure était tout à fait pertinente. Que fait-on ? »

La phrase, prononcée de la façon collet monté et sur l'intonation habituelle de son amant, tira Maewon de ses réflexions. Ne sachant pas lui-même ce qui était le mieux à faire, il ne put ni mentir ni dire la vérité.

« Je… ne sais pas... On pourrait essayer… de seulement réfléchir chaque jour à ce qu'on fait le lendemain.

— Je suis d’accord pour essayer. Alors, que fait-on demain ? répéta Ashley.

— Pour demain… Je sais juste que j’ai envie de te voir demain.

— À demain, alors ! »

Un sourire véritable accompagna la dernière réponse. Cette vision rappela à Maewon à quel point il avait envie de voir cette expression sur ce visage, tous les jours. Ce sourire obsédant jouait toujours sur ces lèvres désirées quand le garçon se pencha pour dire au revoir et embrasser légèrement le bout des oreilles pointues. Le semi-elfe ne sut pas trop quoi en penser.

Depuis quelques semaines, il ne savait pas comment réagir face à cet état de fait : son ami semblait subjugué par ses appendices auditifs ; il les regardait constamment et les touchait régulièrement. Ce n’était pas un attrait malsain de la part de son petit ami humain pour son enveloppe hybride… Il aurait décelé ce genre de comportement : il en avait croisé tellement, des gens comme ça…  Il lui semblait qu'Ashley était surpris à chaque fois que les deux garçons se revoyaient, comme si le blond redécouvrait que son camarade n’était pas humain, ou plutôt comme s'il avait oublié que le métis était un être un peu à part, que la vue de cette différence le lui rappelait, et qu’elle le… rassurait ?

Maewon devinait sans réellement comprendre. Il ne pouvait donc ni faire de reproches ni ouvrir le dialogue avec son ami. Alors, son malaise persistait.

Une fois son amant parti, le jeune homme soupira de frustration. Il avait toujours eu un sentiment ambigu envers cette caractéristique la plus visible de sa différence. Même la couleur bleue de ses cheveux, qui se distinguaient de loin, ne le dérangeait pas, mais ses oreilles faisaient l'objet de sa fierté, entremêlée de honte internalisée.

Victime de discrimination depuis son enfance, ironiquement de la part de représentants des deux races dont il était censé faire partie, le semi-elfe avait appris à canaliser le sentiment d’injustice, la rage, le malaise qui le submergeaient face à certains propos, certains actes à son égard. Il avait appris à se battre avec ses mots après qu'on lui ait enseigné de ne plus se battre avec ses poings. Soutenu par l’amour indéfectible de ses parents, il avait toujours su comment réagir aux agressions, répondre aux sous-entendus, faire même face aux compliments un peu gênants qui ne voyaient de lui que son enveloppe métissée.

Il avait ensuite dû affronter d’autres rejets lorsqu’il avait commencé à affirmer ses préférences amoureuses. Plutôt que d’éduquer les préjugés, son sarcasme naturel avait alors pris l’habitude de les tourner en ridicule, de les écraser. Il avait toujours su comment réagir. Cependant, depuis qu'il fréquentait cet étonnant garçon, le raisonnable Maewon ne savait plus comment faire face à tout ce déferlement d’émotions violentes et contradictoires.

La prunelle de vos yeux - Tome 1 : RévélationsWhere stories live. Discover now