Lunaire

Chapitre 32

 Le son de branches qui craquaient éveilla Liesel à cinq heures du matin. La forêt lui avait longtemps manqué, mais les circonstances la forçant à s'y terrer suffisaient à l'en dégoûter. L'escouade Livai nouvellement constituée avait hérité d'une mission cruciale : cacher Eren Jäger et Historia Reiss, le temps que les choses se calment au sein des murs. Ainsi dit, ça ne semblait pas bien compliqué. Seulement, le petit groupe vivait dans la peur constante de trahir leur emplacement, aussi les sorties hors de la vieille ferme étaient-elles très limitées.

Un soupir quitta ses lèvres à vif, ses pieds nus effleurant le sol. Elle avait rêvé, encore. De la mer, du mur, du ciel immense au-dessus d'eux et des figures qui l'animaient. Ses paumes moites se serrèrent sur le drap emmêlé, le froissant plus encore. C'était déjà mieux qu'avant. Plus paisible.

La jeune femme étira ses bras, doucement. La raideur dans son épaule droite persistait, le médecin avait dit qu'elle disparaîtrait dans quelques semaines. De toute manière, Liesel n'en avait pas besoin pour le moment. Elle n'avait pas touché un équipement tridimensionnel depuis qu'il avait fallu partir à la poursuite des fuyards. Sur le moment, personne n'avait fait le tri entre ceux qui s'étaient pris un coup sur la tête quelques heures auparavant et ceux qui venaient d'arriver. Ils avaient eu besoin de toutes les lames possibles.

De cette excursion au-delà du mur Rose, elle n'avait qu'un souvenir flou. Le sauvetage d'Eren avait coûté de nombreuses vies. Vies qui auraient été épargnées si Liesel n'avait pas eu ce geste stupide. Le Caporal Livai avait été catégorique à ce sujet : son erreur n'avait pas suffi à déclencher le fiasco de cette expédition. C'était simplement la conséquence d'une accumulation de détails mal gérés et d'imprévus, de petits grains de sables dans l'engrenage qui s'étaient agglutinés et avaient fini par le faire dérailler. Mais lorsque la jeune femme avait sous les yeux les conséquences de cette bataille, la culpabilité l'étreignait à la gorge.

Elle se pencha sur le côté, étirant les cicatrices blanchâtres qui sillonnaient son abdomen. Pourquoi était-elle toujours là ? Parce qu'elle était l'idiote utile, de toute évidence. Parce qu'aider une imbécile à s'en sortir, c'était plus malin que sauver Marco des mâchoires d'un titan. Elle avait appris, entre temps, que l'on avait retrouvé son équipement entre les mains d'Annie. La troisième pièce. Le titan féminin. Celui dont elle ne connaissait même pas l'existence, qu'elle n'avait jamais vu en action. La clé, peut-être, qui lui avait manqué.

Tous les éléments ou presque étaient en sa possession. Ce n'était que lorsque la vérité avait éclaté au grand jour qu'elle avait pu tous les relier et mesurer l'ampleur de sa stupidité. Elle s'était sentie si maligne. Si supérieurement intelligente aux aveugles qui l'entouraient, qui continuaient à marcher droit dans le mur sans se poser de questions. Elle était tombée de haut.

Son corps fatigué s'échoua à nouveau sur son lit. Elle ne devait pas faire de bruit, Sasha avait le sommeil léger ces derniers temps. Liesel lui était reconnaissante de rester sa camarade de chambre. À sa grande surprise, c'était elle qui s'était montrée la moins amère. Tout comme Connie. Ces deux-là étaient sûrement dans le même état d'esprit qu'elle, et le jeune homme devait absorber la disparition de sa famille en plus de la trahison de leurs camarades.

Trahison. Le mot était dans l'air, pesant. Chacun craignait que les trois déserteurs n'aient pas été les seules taupes. Le ménage se faisait discrètement dans chaque unité, les dossiers étaient consciencieusement passés en revue les uns après les autres. Celui de Liesel était sur le dessus de la pile. Elle savait, sur ce point, qu'elle ne risquait rien. Le simple fait que son grand-père ait été l'instructeur du Major, des années auparavant, la mettait hors de cause, tout comme son testament et sa dernière lettre. Un charabia confus, malheureusement, mais qui suffisait à confirmer que la jeune femme était bien de son sang.