Chapitre 3

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Quelques heures à peine après le passage en revue des nouvelles recrues, Liesel éprouvait déjà le besoin de s'isoler un peu de la cohue ambiante.

Elle n'avait pas l'habitude de se retrouver entourée d'autant de monde... Et pour être honnête, ça l'oppressait un peu. Mais bon, elle savait bien à quoi s'attendre. Il allait simplement falloir qu'elle se force à parler au lieu d'écouter, à agir au lieu d'observer. Ce qui, clairement, serait loin d'être facile. Elle regrettait, quelque part, d'avoir grandi coupée du monde. Son enfance avait été plus qu'heureuse, mais elle avait l'impression d'avoir été jetée dans un fleuve sans avoir appris à nager, et de se débattre tant bien que mal pour rester à la surface. Tout ce qu'il fallait, c'était qu'elle apprenne à faire la planche, en espérant soit qu'elle finirait par apprendre à flotter toute seule, soit que quelqu'un viendrait la repêcher avant qu'elle ne se noie.

Elle s'accouda à la barrière avec un petit soupir, fermant les yeux un instant. Elle y était enfin. Elle avait quitté les bacs à lessive, la maison qui sentait la pisse de chat, la petite vieille, gentille certes mais bien trop indiscrète pour elle, les heures d'insomnie à observer le plafond humide... Tout ça était derrière elle, maintenant. Elle suivait les traces de son frère, et celles de son grand-père avant lui, bien qu'elle pressente que ses jambes étaient bien trop courtes pour marcher dans leurs empreintes.

Le bruit de pas précipités la sortit de ses rêveries, et elle ouvrit les yeux. La fille à la patate, pensa-t-elle avec un sourire amusé lorsque son regard se posa sur l'adolescente aux cheveux châtains qui semblait prête à s'écrouler de fatigue. Le passage en revue avait été plutôt mouvementé, et en partie grâce à elle.

Quelques minutes seulement après que Liesel se soit vue humiliée devant plus de cent personnes par son instructeur qui lui énumérait une par une les raisons pour lesquelles elle mourrait prématurément, cette fille avait sorti une patate de sa poche. Et l'avait mangée, en toute simplicité. Elle se souvenait encore du silence de mort qui s'était abattu sur le groupe, tout le monde la dévisageant sans un mot. Elle aurait dû avoir envie de rire, mais le culot de cette fille lui avait cloué le bec.

« Ça fait cinq heures qu'elle court comme ça... » fit une voix à sa droite. Liesel sursauta violemment, ne l'ayant absolument pas entendu arriver. Lorsqu'elle tourna la tête pour dévisager le nouvel arrivant, elle fit face à un visage sympathique piqueté de taches de rousseur et aux yeux brillant d'un éclat amical.

« J'arrive pas à croire qu'elle soit capable de courir aussi longtemps... Murmura-t-elle en reportant son regard sur la fille en question.

- Et pourtant, elle y est depuis qu'on est rentrés... C'est dans ce genre de situations que je me demande ce que je fous là. avoua l'adolescent avec un rire nerveux.

- Tu veux partir dans le centre, non ?» Dit-elle d'un air un peu absent. Foutues oreilles qui ne pouvaient s'empêcher d'écouter tout ce qu'elles pouvaient, foutus yeux qui analysaient les visages un par un et, pire que tout, foutu cerveau qui retenait le moindre détail.

«Tu espionnes tout le monde comme ça ?»

Elle étudia un instant son expression surprise et finit par hausser les épaules avec une moue indifférente.

« Faut bien que je me renseigne sur les gens avec qui je vais passer trois ans... Enfin, si je ne me fais pas jeter avant.

- Tu commences déjà à penser à ça ?

- L'autre tête d'œuf m'a bien fait comprendre que les demi-portions dans mon genre finissaient par lâcher l'affaire... Mais j'ai pas l'intention de le laisser avoir raison.»

Treize ans, un mètre cinquante et guère plus de quarante kilos, il fallait avouer que Liesel ne payait pas de mine. Elle était en parfaite santé avant de quitter sa forêt natale, affûtée, énergique, mais ces deux dernières années l'avaient amaigrie, lui donnant clairement l'allure d'une brindille. Elle avait encore le corps d'une enfant, et il lui restait quelques traits du visage rond de ses primes années. Des hanches étroites, une poitrine non loin du néant et des jambes aussi maigres que celle d'une sauterelle donnaient l'impression qu'on pourrait la briser d'une pichenette.

LunaireWhere stories live. Discover now