Chapitre 8

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Walter avait attendu, des jours durant, des nouvelles de la fameuse Isa. Il avait surveillé le courrier avec soin, chaque jour, avait guetté sa silhouette ainsi que celle de ses compagnons à chaque coin de rue, dès qu'il était de patrouille. Il avait aussi jeté un œil aux dossiers, juste pour s'assurer que ces gens n'avaient pas de casier judiciaire. Mais il y avait au moins quatre Isabelle, deux Isalys, et une Isaline qui traînaient dans ces papiers poussiéreux. Et encore, rien ne garantissait que la jeune femme s'y trouvait. Pour ce qui était des Tom, n'en parlons pas... C'était à croire que tout ce district s'était passé le mot pour appeler tout le monde de la même manière.

Alors il prenait son mal en patience, comme il l'avait toujours fait. Il se serait senti capable d'attendre des jours, des années même, tant qu'au bout de cette attente luisait l'espoir de retrouver son grand-père. Mais rien n'aurait pu le préparer à la manière dont Isa reprit contact avec lui.

Il faisait froid, ce soir là, et il ne s'attendait pas à ce que des filles soient capables de se promener épaules nues malgré les courants d'air glacial qui sillonnaient les rues. Mais il fallait croire qu'elles préféraient attraper une pneumonie plutôt que de devoir renoncer à une journée de salaire. Il comprenait, pour être honnête, même si la simple pensée de demander une faveur à ces jeunes femmes le répugnait. Elles étaient désespérées, et bien souvent manipulées. En général, elles n'avaient aucun autre revenu et, parfois, une famille à charge. Certaines de ces filles n'avaient même pas l'âge de Liesel... Il n'osait pas imaginer ce qu'elle aurait pu devenir, si elle n'était pas entrée dans l'armée et avait refusé son aide comme elle persistait à le faire.

Il était avec un camarade, en train de fumer une cigarette, l'écoutant déblatérer d'une oreille distraite. Il aurait été bien en peine de dire de quoi il lui parlait, il avait la tête bien trop occupée pour ses inepties. De toute manière, Grant n'attendait certainement pas de lui qu'il parle. Tant qu'il pouvait se vanter de ses exploits auprès de quelqu'un qui s'abstenait de lui coller son poing dans la gueule pour le faire taire, ça lui convenait parfaitement. Et Walter avait le don de faire semblant d'écouter les autres en hochant la tête de temps à autre et dire qu'il était parfaitement d'accord.

Mais il était apparemment plus à l'ouest que d'habitude, car son camarade lui donna bientôt un coup de poing amical dans l'épaule.

« Ma parole, t'as l'air complètement à côté de la plaque, mon vieux, qu'est-ce qui te prend ?

- Mais non, Grant, pas du tout... Juste un peu fatigué.

- Un peu ? Mec, je viens de te demander si je pouvais me taper ta sœur, et tu m'as sorti que t'étais parfaitement d'accord...

- J'ai dis ça ? Oh bordel... » dit-il avec un soupir las, massant ses tempes dans un geste lent pour tenter de dissiper la migraine qui commençait à investir son crâne.

Venant de quelqu'un d'autre que Grant, il l'aurait très mal pris. Mais c'était un des rares camarades qu'il appréciait, malgré sa grande gueule. Il lui avait parlé de sa tête brûlée de petite sœur à quelques reprises déjà, et ce dernier savait à quel point il tenait à elle. Alors, ce genre de blagues, c'était très occasionnel et complètement inoffensif, sans compter qu'au fond, c'était un gars bien qui n'aurait jamais ne serait-ce que l'idée d'abuser d'une gamine de quatorze ans.

« Tu devrais rentrer, tu sais ? Faut que tu dormes un peu, sérieux, t'as des cernes jusqu'aux genoux.

- C'est physiquement impossible. Rétorqua-t-il avec son habituel sérieux. Et puis, je vais bien... De toute manière, je réussirai jamais à dormir sans somnifères. »

Le brun laissa échapper un soupir, exhalant un voile de fumée nocive qui troubla l'air froid un moment.

« Tu bosses trop, quand tu patrouilles pas t'as toujours la tête plongée dans tes papiers. Sors un peu de ta grotte, ça t'aidera sans doute à trouver le sommeil. Vis, bordel, t'as dix-sept piges et tu te comportes comme un ermite.

LunaireWhere stories live. Discover now