Chapitre 4

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Liesel tapota la timbale au-dessus de sa bouche entrouverte, faisant chuter quelques gouttes d'eau sur ses lèvres asséchées. Elle mourait de soif... Il fallait avouer qu'elle ne s'était pas économisée, une fois de plus. Pour tout dire, elle ne pouvait pas vraiment se le permettre.

En ce soir de février 848, comme tous les soirs ou presque depuis son incorporation, elle était allée s'entraîner. Certes, un sac de frappe n'était pas comparable à un être humain, loin de là, mais ça lui permettait au moins de gagner en force dans ses coups. La précision, elle l'avait. C'était de puissance dont elle avait besoin. Et d'un peu plus de stratégie, mais ça, elle ne pouvait pas le développer toute seule. Alors, elle essayait d'en faire un maximum en espérant que ses efforts finissent par payer. 

Liesel avait dû se rendre à l'évidence, après plusieurs mois d'entraînement déjà. Elle n'était pas spécialement douée, contrairement à Walter, contrairement à son grand-père. S'en rendre compte avait mis un sacré coup à son ego, et à sa confiance en elle au passage. Elle n'était pas mauvaise, non, seulement normale. Moyenne. Banale. Qu'elle détestait ça, la banalité... Alors, elle faisait tout pour en sortir. Pour se montrer digne de ceux qui l'avaient précédée, pour que son frère puisse enfin se sentir fier d'elle... Mais surtout, pour prouver à tête d'oeuf qu'il s'était trompé sur son compte. Elle avait un certain orgueil, cette petite, et ne supportait pas qu'on la sous-estime. 

Enfin, de son point de vue, pas mal de monde la sous-estimait. Jean , cet avorton arrogant, qui n'arrêtait pas de la taquiner sur sa taille et à qui elle assénait de vengeresses balayettes au moment du passage en revue, chaque semaine. Ymir, qui semblait la prendre pour une demeurée de première et Christa qui ressentait le besoin de lui réexpliquer absolument tout ce que son amie disait. Mina qui la pensait incapable de comprendre quoi que ce soit de délicat. Même Marco, avec qui elle entretenait une amitié solide, se forçait à y aller doucement lorsqu'il s'entraînait avec elle. Certes, ça partait d'une bonne intention, mais elle en avait assez d'être considérée comme une petite chose fragile.

Une serviette sur ses épaules nues, la sueur perlant encore à son front, elle était venue s'asseoir sur les marches qui menaient au dortoir. C'était devenu son observatoire, son refuge, l'endroit où elle s'installait chaque soir pour examiner le ciel, le temps de calmer les battements de son coeur et de cesser de transpirer. Ses yeux attentifs balayèrent avec précision la voûte céleste piquetée d'étoiles, nommant ses astres un par un. 

Mais ses pensées ne prenaient pas sa propre voix, comme le font celles de la plupart des gens. Non, dans sa tête, la voix de son grand-père résonnait. Elle se souvenait si bien de ses intonations, de son timbre légèrement rocailleux et pourtant si doux, qu'il lui semblait qu'il était là, à ses côtés, à répéter lentement, pour qu'elle les retienne, ces noms qui lui paraissaient si distants. Aujourd'hui, elle connaissait chacun d'entre eux, jusqu'à la plus petite étoile. C'était bien la seule chose en elle qui aurait pu le rendre fier, songea la jeune femme avec un sourire attristé.

«Qu'est-ce que tu fais là à une heure pareille ? » fit une voix peu familière derrière elle.

Liesel, bien que prise de court, parvint à réprimer un sursaut, et se tourna vers le garçon qui venait de parler. Elle le connaissait. Enfin, connaître était un bien grand mot... Disons qu'elle savait de lui ce qu'elle savait de ses autres camarades, à peu près. Son nom, les personnes qu'il côtoyait, comment il se situait par rapport aux autres en termes de notes... Certes, ça pouvait sembler déjà beaucoup, pour quelqu'un à qui elle n'avait jamais adressé la parole, mais elle connaissait ce genre de détails sur chacun de ses camarades ou presque. Et puis, à l'échelle d'une personne, c'était infime. N'importe qui pouvait connaître ces choses-là, avec un peu d'observation. 

LunaireWhere stories live. Discover now