Chapitre 20

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Walter aurait aimé rester plus longtemps aux côtés de sa sœur, une fois son intégration dans l'armée passée. Il n'était absolument pas sûr qu'elle tienne le coup, physiquement comme mentalement. Cette fois-ci, cependant, il avait mis ses angoisses de côté et s'était interdit de la sous-estimer.

Dans sa poche, la lettre de son grand-père le brûlait. Il ne la lui avait pas donnée, pas encore, considérant que son contenu l'aurait sans doute bouleversée plus encore. Elle n'avait pas besoin de savoir à quel point il avait perdu la tête, sur la fin. Elle qui admirait tellement Abel prendrait certainement ses mots aux pieds de la lettre et se torturerait les méninges jusqu'à en crever de fatigue. Et lorsqu'elle réaliserait enfin que ce n'étaient que les élucubrations d'un vieillard malade, ça la détruirait. Non, il valait mieux qu'elle n'en sache rien. Elle l'en remercierait plus tard, lorsqu'elle aurait gagné en maturité et en expérience. Même si, avec ce qu'elle venait de vivre, ces dernières avaient probablement décuplé en l'espace de quelques heures.

Il revint donc dans le centre, débraillé et les cheveux en bataille. Il ne s'était pas changé depuis plusieurs jours, avait dormi tout habillé et n'avait pas jugé utile de remettre en place ses épis désordonnés. Il avait seulement pris le temps de se débarbouiller dans un ruisseau sur le chemin. L'épuisement lui aurait fait traîner les pieds s'il n'avait pas craint pour la vie d'Isa. Malgré ses menaces à l'égard de Grant, il y avait toujours une possibilité pour que les autres n'en tiennent pas compte, et il en était de plus en plus conscient à mesure que son inquiétude pour sa cadette disparaissait. Bordel... Comment en était-il venu à s'attacher autant à une fille de rien ?

Il passa chez elle avant même de rentrer au quartier général. Les volets étaient fermés, pourtant il était encore tôt. Peut-être qu'elle avait de la visite ? C'était possible, à la limite du probable. Après tout, il ne savait pas si elle fréquentait quelqu'un ces temps-ci, c'était tout à fait envisageable maintenant que ses activités nocturnes avaient pris fin. Il s'arrêta donc au bas du bâtiment, sortant sa dernière cigarette de sa poche. Il en avait éclusé pas mal depuis qu'il avait quitté le centre, trop pour être honnête. Son angoisse ne se rassasiait qu'à la nicotine, de toute manière. Il attendit longtemps. Malgré ses efforts pour faire durer sa clope le plus longtemps possible, il dut bientôt l'éteindre pour de bon. Cinq minutes. Dix. Puis une heure. Pourquoi attendait-il, au juste ? Peut-être qu'elle s'était endormie dans les bras de quelqu'un et ne ressortirait pas avant le lendemain matin. Il demanda à un passant de consulter sa montre. Vingt heures. Trop tôt pour dormir, réalisa-t-il. Elle devrait à peine être rentrée du travail, à cette heure-ci. Ce qui signifiait qu'il aurait dû la voir passer. Après, rien n'excluait qu'elle finisse un peu plus tard que d'habitude. Il attendit une heure de plus, les bras croisés, sa main droite pianotant impatiemment.

« Tiens, mais c'est le petit jeune homme de chez ma mauvaise payeuse préférée. Ça faisait longtemps qu'on vous avait pas vu ! »

Il se tourna vers la voix pour faire face à la petite vieille du premier étage. Sa face ridée comme une vieille pomme et son teint tanné faisaient ressortir deux petits yeux perçants, enfoncés dans les pliures de sa peau. Effectivement, il la croisait régulièrement, étant donné qu'elle passait réclamer son loyer en retard à Isa à peu près tous les trois jours.

« Madame Fischer... Excusez-moi, j'étais en déplacement. Comment allez vous ?

- Tu ne t'intéresses pas à mon état de santé, sacripant. Épargne-moi les faux semblants. Le réprimanda-t-elle en fronçant les sourcils. Dis-moi, tu ne saurais pas par hasard où est passée cette petite garce du deuxième étage ? Je ne l'ai pas vue depuis près d'une semaine, la porte est fermée à clef et en plus, elle a empuanti toute la maison ! Oh, je suis sûre qu'elle m'évite pour éviter d'avoir des ennuis... J'aurais dû l'expulser il y a longtemps ! Elle a trois mois de loyer de retard, trois ! Quand elle rentrera enfin, fini d'être indulgente, elle va dégager pour de bon !

LunaireWhere stories live. Discover now