ℂ𝕙𝕒𝕡𝕚𝕥𝕣𝕖 𝟝

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Je sens encore la chaleur de Grégoire contre moi. Mais je me rends bien vite compte que ce n'était qu'un rêve. Un souvenir de cette nuit-là, quand il a débarqué dans ma chambre, complètement trempée, en larmes et qu'il m'a annoncé son départ. Je cligne plusieurs fois des yeux et les frotte pour m'habituer à l'obscurité. Je ne mets que quelques secondes avant de retrouver mes esprits et me rappeler de ce qu'il s'est passé quelques heures plus tôt. Grégoire est parti, laissant ce vide immense au fond de moi. Je tends le bras pour tenter de récupérer mon téléphone sur la table basse. La lumière, bien qu'au plus bas, me brûle les rétines. Il est 3h21. Je n'ai même pas dormi deux heures. Shepard commence à remuer près de moi et je l'éclaire avec la lampe de mon portable pour le retrouver. Il est assis dans son panier, son doudou dans la gueule.

— Qu'est-ce qu'il y a mon chien ?

Il se contente de resserrer la mâchoire sur son jouet qui émet un couinement. Je me lève en éclairant mes pieds pour éviter les coins de meubles. Shepard quitte son panier pour m'attendre devant l'escalier. Je le rejoins et il monte aussitôt à l'étage en continuant de faire couiner son jouet. Ma main se resserre autour de la rambarde. Il y a notre chambre à l'étage, ses affaires, notre lit... Je fais demi-tour pour retourner sur le canapé avant d'entendre Shepard gratter contre une porte et pleurer. Je l'appelle et il recommence son petit manège. Qu'importe s'il détruit la porte, je ne monterais pas dans cette chambre.

Je m'enroule sous le plaid et tente de retrouver le sommeil, cachant ma tête sous l'oreiller. Si je reste éveillé, je vais réfléchir et recommencer à pleurer. Je plonge mon nez dans le tissu et en dehors de la lessive, je sens des petites effluves de son odeur. Refuser de penser à lui ne change rien. Il est là, tout le temps, à chaque minute dans un coin de ma tête. Et je ne parle même pas de l'état dans lequel il a mis mon cœur.

Je m'assois sur le canapé, essuyant mes joues et m'enroule dans la petite couverture pour aller me faire chauffer de l'eau. Autant m'occuper avant de penser plus que je ne le fais déjà. La cuisine est éclairée par une vieille ampoule qu'il voulait absolument changer. « Les économies d'énergie, c'est bien. Mais pas quand la lumière ne sert presque à rien. » Je mets de l'eau à chauffer dans la bouilloire et resserre le plaid sur mes épaules. J'attrape un sachet de plantes à infuser dans ma boîte à thé et ouvre le placard de la vaisselle pour tomber nez à nez sur sa tasse moche. Celle qu'il m'a prise pour bien m'embêter en échange du pull qu'il exècre. « C'est compliqué d'être un homme idéal et un moche à la fois. Mais ça va, je gère. » J'attrape le mug et passe mon pouce sur les mots inscrits. Ma vue devient trouble. Je pleure à cause d'une simple tasse. C'est stupide. Je me sens stupide. Mon cœur se compresse. Et si Christophe avait raison depuis le début ? Et si je n'étais rien aux yeux de Grégoire ? Rien de plus qu'un homme qui ne le connaissait pas vraiment... Mon poing serre plus fort la tasse et d'un cri de rage, je l'éclate au sol. Christophe ne sait rien. Il ne connaissait pas son frère. Moi, oui. Je le connais mieux que personne. J'attrape la première assiette qui me tombe sous la main et l'explose avec rage sur le sol. Je ne me sens toujours pas mieux. Je suis en vie, alors que Grégoire n'existe plus. J'en récupère une autre et lui offre le même traitement. Les morceaux de céramique jonchent le sol de la cuisine et la bouilloire arrête de chauffer, indiquant que l'eau est désormais bouillante.

Je laisse tout en plan et jette la couverture sur le canapé avant de m'enfermer dans la salle de bain en claquant la porte. J'ai vraiment besoin de me calmer. Grégoire était le seul à supporter mon état de colère et à m'aider à me détendre. Mais maintenant, je dois gérer ça seul. Je passe de l'eau froide sur mon visage, sur ma nuque et observe mon reflet dans le miroir. Je ne ressemble plus à rien. Mes cheveux blonds sont dans un désordre monstre et mon regard n'offre rien de plus qu'une expression vide. Rien de plus que l'état dans lequel je suis à l'intérieur. Je me déshabille et pars sous la douche pour tenter de reprendre mon souffle et définitivement me calmer. L'eau froide m'aide un peu et j'augmente progressivement la température avant de me savonner. Je me rince et m'assois au fond de la baignoire, attrapant son shampoing. Celui à l'amande. Je ferme les yeux et hume l'odeur. Ses cheveux bruns dans lesquels j'adore passer mes doigts. Les quelques mèches qui tombent sur ses épaules et qu'il ramène derrière ses oreilles. Son sourire. Sa peau. Son air concentré quand il peint. Son rire. Sa voix, quand il me dit "je t'aime".

AubadeWhere stories live. Discover now