ℂ𝕙𝕒𝕡𝕚𝕥𝕣𝕖 𝟙𝟡

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J'ouvre les yeux et observe le ciel, d'un bleu clair entre les branches quasi-nue des arbres. Quelques oiseaux chantent et j'entends des voitures au loin. L'asphalte est dur sous mon dos. Un feu crépite près de mon visage et une douleur se diffuse dans mon crâne. Je frissonne et brûle de l'intérieur en même temps.

— Armand...

Cette voix, je la reconnaîtrais entre des millions. Je tourne la tête, malgré la douleur, et je le vois. Grégoire est debout, une large coupure sur le front continue et les vêtements couverts de sang. Je tends la main vers lui, espérant le ramener près de moi. Il s'accroupit à mes côtés et dépose ses mains sur mes joues. Sa peau est glacée contre la mienne.

— Pourquoi tu n'étais pas là ?

J'attrape son visage et récupère ses larmes mêlées à son sang. Je veux me raccrocher à lui de toutes mes forces. Je tente de parler. Aucun mot ne sort.

— Pourquoi tu ne m'as pas sauvé ?

Il meurt seul, au milieu d'une route.

Je me réveille en sursaut, terrifié à l'idée que tout ça soit la réalité. Je tends le bras vers lui en l'appelant. Je me rends bien vite compte que sa place est vide. Grégoire n'est plus là. Je m'assois contre la tête de lit, pressant mes jambes contre ma poitrine. Je suis incapable de le sauver. Incapable de faire autre chose que le regarder me supplier de le sauver. J'en ai plus qu'assez de voir son visage terrifié à l'idée que ce soit sa fin.

Je repousse la couette et quitte la chambre, espérant pouvoir penser à autre chose. Shepard se réveille en m'entendant descendre les escaliers et lève la tête dans ma direction. Je lui propose de venir sur le canapé et il ne se fait pas prier. Je récupère mon vieil ordinateur portable et me couvre d'un plaid. Le CD que m'a donné Laura finit entre mes mains. J'ai encore le temps de rebrousser chemin et ne pas être abattu par cette réalité déjà bien douloureuse.

— Qu'est-ce que je fabrique ?

Shepard se roule en boule contre ma cuisse et émet un lourd soupir. Ce n'est pas lui qui me donnera une réponse.

J'installe le disque dans le lecteur et ouvre le logiciel de vidéo. Le dossier charge et de nombreuses miniatures de nos premières années ensemble s'affichent. Il y en a une bonne trentaine, si ce n'est plus.

Je lance la première et découvre sa première tentative de film. Il est juste devant l'objectif, ses beaux yeux observent de temps à autre l'objectif et il replace une de ses longues mèches brunes derrière son oreille. Il triture les boutons de l'appareil pour faire un réglage sur le zoom, ses dents mordillent sa lèvre et il pousse un petit cri de victoire. Il tourne la caméra et c'est moi que je vois, bien plus jeune. Je n'ai pas l'air particulièrement heureux d'être la star de l'écran.

— Qu'est-ce que tu fais ? gronde l'ancien moi.

— Ça se voit pas ? Je te filme.

— Arrête... Viens plutôt m'aider avec ce meuble.

— Roh ! T'es pas drôle.

Son rire me met les larmes aux yeux. C'est la première fois que je l'entends depuis des mois.

La vidéo se coupe et la seconde se lance automatiquement. Je ne pourrais pas mettre de mots sur la douleur que je ressens au fond de moi. J'ai envie d'arrêter, mais je ne peux pas me défaire de son visage, ni de sa voix que je peux entendre à nouveau.

Est-ce que Laura a vu toutes ces vidéos ? Ou c'est elle garder de le faire, pensant tomber sur des moments de la vie de son frère peut-être trop personnelle pour elle ?

La première vidéo que j'ai prise de lui pour notre cinquième anniversaire s'enclenche. Je le réveille tendrement et dépose Shepard -qui n'est encore qu'un chiot- sur notre lit. Il dépose sa truffe sur sa joue, ce qui le réveille. Grégoire m'observe avec tellement d'amour en prenant le chien dans ses bras que je recommence à pleurer devant l'écran. Il me remercie mille fois.

AubadeWhere stories live. Discover now