Chapitre 6

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5 septembre 2021, 19h25

Je ne repris réellement mes esprits que dans le train, le vendredi soir, en rentrant chez moi. J'avais reçu un message de Raphaël, un message que je n'attendais pas mais qui m'avait donné des ailes.

Papa est là.

C'était lui qui m'attendait à la gare d'Orléans pour me ramener. Je montai dans la voiture d'un geste mécanique, en pensant que c'était Raphaël, et ce ne fut que quand la voiture démarra que je me rendis compte que ce n'était pas mon frère. Raphaël était gaucher ; quand il tenait le volant d'une seule main, c'était toujours de la gauche. Or la main gauche du conducteur reposait sur sa jambe. Et je ne connaissais qu'une personne ayant la peau aussi bronzée.

Je me retournai vivement.

- Papa !

Mon père ressemblait à une version plus âgée de Raphaël. Il avait les mêmes yeux, le même nez, la même bouche que mon frère. Ses yeux se plissèrent quand il me sourit. Ils avaient aussi le même sourire, un sourire insouciant, enfantin, encore naïf malgré tout, empreint d'une habitude jamais lassante.

- La fille de la famille, dit-il en déposant un baiser sur mon front.

C'était une sorte de blague dans la famille ; depuis plus de générations que l'on pouvait en compter, la famille de mon père n'avait compté que des garçons, si bien qu'au bout du compte, ils n'avaient même pas besoin d'aller voir de gynécologue pour connaître le sexe de la génération suivante : l'enfant était un fils, toujours, et les centaines de consultations médicales pour savoir pourquoi la famille Sane ne pouvait pas enfanter de fille n'avaient rien donné. Jusqu'à moi, et personne n'avait réussi à résoudre le mystère. Moi et mon imagination débordante avions imaginé mille explications : malédiction, sortilège, maladie jusque-là inconnue transmise par des extraterrestres... Seul mon père semblait prendre au sérieux mes hypothèses, ou du moins je l'ai cru jusqu'à mes huit ans. J'ai compris après que c'était juste comme ça, le hasard de la nature.

- Regarde ce que je t'ai apporté, annonça mon père alors qu'il démarrait la voiture. Dans la boîte à gant.

Je l'ouvris et trouvai un livre assez épais, dont le titre était : Mythes, religion et panthéon Aztèque, par Julian Callyo.

- Papa ! répétai-je.

Cela faisait des mois que je lui disais que je rêvais d'un livre recensant tout ce qui était en rapport avec la mythologie Aztèque. Et cela faisait des mois qu'il me répétait - avec un peu trop d'insistance, en y repensant - que cela n'existait sûrement pas.

- Je l'ai trouvé seulement quelques semaines après être retourné au Mexique, expliqua-t-il.

- Papa, c'est génial. Merci. Merci beaucoup.

Son sourire, son immense sourire que j'adorais, fut ma seule réponse.

Il se gara devant la maison, et je jaillis de la voiture, le livre serré contre ma poitrine. Ma mère avait ouvert la porte en entendant la voiture entrer. Je me jetai dans ses bras.

A vrai dire, je gardai un souvenir confus de cette soirée. Seulement un immense bourdonnement de joie, de fébrilité, j'avais envie de sauter partout, de rire aux éclats. Pour la première fois depuis deux mois, nous étions réunis, tous ensemble.

Nous étions heureux, encore une fois.

Pour la dernière fois avant de longues semaines, mais je l'ignorais encore.

Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin