Chapitre 34

5 2 2
                                    

Je partis à vingt heures, l'heure où le soleil disparaît derrière la mer et où les animaux nocturnes commencent à s'aventurer à l'air libre, masquant les bruits trahissant ma présence. J'avais pris soin de mettre plusieurs épaisseurs de vêtements, mais je sentais le vent s'engouffrer sous mon tee-shirt et j'étais parcourue de frissons.

Mais j'avais un plan, ou du moins quelque chose qui s'en rapprochait.

J'allais marcher jusqu'au parking puis suivre la route qui menait à la sortie du domaine. Une fois à l'extérieur, je trouverais bien quelqu'un qui s'arrêterait pour déposer la jeune fille sur le bord de la route à l'endroit où elle voulait aller, c'est-à-dire l'hôtel Lesmont.

Je tentai de ne pas penser à toutes les choses qui pouvaient mal tourner. J'espérais seulement que Tepeyollotl me regardait en cet instant précis.

- Regarde, je remplis ma part du marché, marmonnai-je. Si tu pouvais m'éviter les dangers qui guettent une jeune fille seule sur le bord de la route, je t'en serais reconnaissante.

Avec un peu de chance, il était dans l'incapacité de lire dans mes pensées. Car je n'avais aucune intention de me rendre. Mon but était de voir où il m'emmenait, puis d'improviser pour que tout le monde s'en sorte, moi, mon frère, mes parents.

Je suppose que, quelque part au fond de moi, j'ai toujours su que ce serait impossible, mais je m'appliquais à mettre cette voix en sourdine. Je croyais en mes capacités.

J'avançai en longeant la forêt. J'étais à quelques dizaines de mètres du parking - je voyais la carrosserie des voitures luire sous le soleil couchant - quand quelqu'un m'attrapa le bras et me tira brutalement dans les arbres. Je criai, jusqu'à ce qu'on plaque une main sur ma bouche.

- Tais-toi ! siffla la voix de Darius.

Comme il se dressait à présent devant moi et que j'étais toujours maintenue, j'en déduis qu'ils étaient au moins deux. Et je savais qui était le second.

- Lâche-moi, Morris ! marmonnai-je entre mes dents.

Il me libéra.

- J'étais sûr que tu préparais un truc, lança-t-il.

- D'accord, tu avais raison, convint une autre voix derrière moi.

Vittoria.

- Qu'est-ce que vous foutez là ? sifflai-je en m'écartant pour les voir tous.

- On pourrait te retourner la question, signala Darius. Tu nous fais le coup Adrian ou quoi ?

J'allais lui demander ce qu'il entendait par-là quand je compris. Sans le faire exprès, je suivais exactement son chemin. Des dieux dans ma tête et dans mes rêves, et maintenant, quelque chose qui s'apparentait à une fugue. Et je compris brusquement comment Adrian avait compris aussi facilement, et la raison de sa colère.

- Ce n'est pas du tout ce que vous croyez, affirmai-je.

Darius croisa les bras.

- Explique-nous, dans ce cas.

Je les dévisageai tour à tour. Je ne connaissais réellement aucun des trois. Au bout de deux semaines, ils étaient restés de parfaits inconnus, que j'appréciais sans comprendre. Comment pourrais-je leur expliquer ?

En commençant par le début, sans doute.

Ils ne me quittèrent pas des yeux tandis que je leur racontai tout ce que j'avais caché. Cela me fit plus de bien que je ne l'aurais cru. Le remord et l'angoisse montaient en moi, mais je ne pensais pas être assez forte pour les supporter dans toute leur puissance sans craquer. Puis, alors qu'ils ne bougeaient pas, réfléchissant encore à ce que j'avais avoué, je leur relatai mon plan.

Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon