Chapitre 50

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Je me réveillai en sursautant, la bouche ouverte sur un cri muet. La sueur collait mes cheveux à mon front et à ma nuque, et je m'étais emmêlée dans la couverture dans mon sommeil. Les larmes dévalaient mes joues et j'étais trop épuisée pour les essuyer. De toute façon, personne ne me voyait.

Je n'eus pas besoin de me rappeler les évènements. Tout était là, dans ma tête. La dernière chose dont je me souvenais était une voiture noire se garant devant nous, Alexander assis sur le siège passager, regardant fixement devant lui, comme s'il ne savait pas trop s'il devait hurler ou pleurer. Au final, il n'avait fait aucun de deux, serrant contre lui un Darius amorphe et muet. Aucun reproche dans ses yeux lorsque que j'avais croisé son regard, seulement l'incompréhension la plus totale, et la tristesse. Ensuite, j'avais dû m'endormir. C'était tellement plus simple de céder au sommeil.

Lentement, je me débarrassai des couvertures et posai les pieds par terre. La pièce était plongée dans le noir, mais je reconnus les angles du lit, le tapis, le coin de la table de chevet. J'étais dans ma chambre chez les Loss.

Je me dirigeai vers la fenêtre et ouvris les rideaux. Vu la lumière qui se déversa dans la pièce, il devait être midi. Comment le jour pouvait-il encore exister ? Il aurait dû disparaître avec toutes ces horreurs.

Je me cognai contre le bureau en me tournant et rien que cela me donna envie de retourner au lit pour dormir et oublier encore un peu. Mais un rayon de soleil se posa sur un bout de papier posé près du pot à crayons.

Habille-toi et rejoins-moi dans mon bureau. A.L.

Alexander Loss.

Dans un état second, tentant désespérément de parquer mes émotions dans une bulle à l'intérieur de moi - je ne voulais pas craquer devant lui - j'allai vers la salle de bain d'un pas traînant, pris une douche froide qui dura quinze secondes tout au plus, et saisit un tee-shirt et un jean au hasard dans l'armoire. Puis je sortis de la chambre. Je devais ressembler à un fantôme errant, aussi pâle que les Cihuateteo de Cihuacoatl.

Je ne croisai aucun domestique sur le chemin du bureau d'Alexander. Soit ils évitaient mon chemin, soit la mort de Vittoria leur avait valu un congé. La dernière hypothèse me semblait peu probable.

Je toquai à la porte machinalement, sans hésitations, à moitié en transe. J'avais l'impression que j'avais passé la nuit dans une fête à boire.

Ce fut Darius qui m'ouvrit la porte. Je fus frappée par son apparence. Il était pâle, les traits tirés, les yeux injectés de sang.

- Hé, lui dis-je en guise de bonjour.

Mais les bons jours n'existaient plus, et il retourna s'assoir avec un simple hochement de tête.

Alexander, assis à son bureau, ne semblait pas dans un meilleur état. Il se massait les tempes quand je m'assis en face de lui, et quand il releva la tête, je vis les cernes immenses sous ses yeux. J'avais facilement tendance à oublier que Vittoria était aussi sa sœur à lui.

Je me tortillai un instant sur mon siège. Je ne voulais pas les brusquer. J'aurais voulu disparaître.

- Je suis désolée, finis-je par souffler.

Rien d'autre ne me venait. Alexander inspira profondément.

- Darius, tu devrais aller te reposer. Tu es encore en état de choc.

Darius se leva sans un mot et sortit de la salle. Alexander poussa un long soupir quand la porte se fut refermée.

- Comment te sens-tu ? me demanda-t-il.

Il avait réellement l'air épuisé et je me rendis compte des efforts qu'il faisait à mettre de côté son deuil pour m'aider.

- Je ne voudrais pas vous déranger.

Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilWhere stories live. Discover now