Chapitre 47

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- Il faut réfléchir, marmonnai-je pour la millième fois au moins. Il y a forcément un indice, il n'a pas fait ça au hasard...

Adrian et Darius tournèrent la tête vers moi, l'air totalement blasés.

- On n'a qu'à faire au hasard, suggéra le premier. Si ce n'est pas le bon, on aura qu'à repartir d'où on est venus et prendre l'autre.

- Mais on sait pas où on arrivera ! Et puis, je sais pas, les humains peuvent peut-être pas vivre chez les dieux, peut-être que y'a pas d'oxygène ou un autre truc du style...

J'étais en train de virer à l'hystérisme. Adrian franchit en quelques secondes la distance qui nous séparait en levant les mains.

- Hé, calme-toi. On va réfléchir et on va trouver. D'un côté, un Chac Pool. De l'autre, un autel. Qu'est-ce que...

Une phrase qu'avait dite Adrian me revint subitement en mémoire.

- Qu'est-ce que tu as dit à propos du Chac Pool, tout à l'heure, déjà ?

- Euh... que c'était un autel de sacrifice ?

- Non. A propos de la signification du nom.

- Ah ! Grand jaguar rouge.

- On retrouve encore le jaguar, non ?

Nous nous tournâmes d'un même mouvement vers le temple de Tlaloc.

- Tepeyollotl... commençai-je.

Je m'interrompis en voyant que les deux garçons avaient tressailli en même temps en entendant le nom du dieu.

- Ce dieu est un dieu joueur, me dépêchai-je d'ajouter. Mauvais, manipulateur, dangereux, mais joueur. Comme un chat. Comme un jaguar.

- Où veux-tu en venir ? demanda Adrian, qui avait repris contenance.

- Le Chac Pool pourrait être un indice, non ? Le jaguar est son emblème divin. Sa représentation de dieu. Ça paraîtrait logique que ce soit le temple de Tlaloc qui amène au monde des dieux, non ?

- Et si c'était un piège ?

- Quel intérêt ? répliquai-je. S'il voulait nous emmener chez les dieux, il l'aurait fait, non ? Il veut juste jouer avec nous, c'est évident.

- Donc on fait quoi ? On joue son jeu ? On se laisse manipuler ?

Une étincelle de colère brillait dans ses yeux dorés.

- J'en n'ai vraiment plus rien à faire de son petit jeu, dis-je. J'ai juste envie de rentrer. Et tant pis si c'est ce qu'il veut de nous et que ça l'amuse, tant qu'on y gagne dans l'immédiat.

Après un instant d'hésitation, Adrian se tourna vers Darius.

- T'en penses quoi ?

Aucune réaction.

- De toute façon, c'est le seul semblant de plan qu'on ait. Je me trompe ?

L'unique réponse que je reçu fut un haussement d'épaule résigné. Je pris une longue inspiration.

Je n'étais pas, mais alors pas du tout, aussi assurée et sûre de moi que je prétendais l'être. Au contraire, j'étais terrifiée, terrifiée de me tromper encore, terrifiée de mener tout droit à la mort les deux dernières personnes restées à mes côtés. Peut-être me trompai-je. Peut-être n'y avait-il même pas de portail. Peut-être suffisait-il de prendre une direction au hasard dans le désert, et de marcher jusqu'à tomber sur quelque chose.

Et en plus, je me détestais de faire ça. De jouer le jeu manipulateur de Tepeyollotl, d'aller exactement là où il voulait qu'on aille, que j'aille, comme si je n'étais qu'un pantin sans âme et sans conscience, simplement un des rouages de la destruction du monde.

Mais d'un autre côté, si jouer son jeu signifiait quitter cet enfer, même momentanément, j'étais prête à le faire, quitte à le regretter plus tard.

C'était pour cela que je fus la première à me dresser devant l'autel de sacrifice du temple d'Huitzilopochtli.

- Et maintenant, on fait comment ? interrogeai-je.

- Peut-être qu'on pose nos mains dessus, suggéra Adrian.

Ce que nous fîmes, même Darius. Je croisai les regards des deux garçons, yeux bleus puis yeux d'or, avant de fermer les miens.

S'il vous plaît, priai-je, sans même savoir à qui je m'adressais. S'il vous plaît, faites que ce soit un portail. Faites que ce soit le bon. Faites qu'on arrive à le traverser. Faites que je ne mène personne à la mort. S'il vous plaît.

La voix d'Adrian retentit, étouffée par le brouillard de mes pensées.

- Qu'est-ce que...

Je n'entendis pas le reste de sa phrase, à moins qu'il ne l'ait tout simplement pas terminée. Je sentis le sol basculer, le haut et le bas s'inverser, les dimensions se tordre, dans un bruit qui rivalisait avec celui du tonnerre ou d'un temple souterrain qui s'effondre.

Puis, soudain, plus rien.


Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilWhere stories live. Discover now