Chapitre 23

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Elle était très haute, cette falaise.

Assise au bord, je contemplais la mer en-dessous. Aujourd'hui, elle était agitée, et les vagues se fracassaient contre la roche dans un bruit de tonnerre. Mon jean était constellé de gouttelettes d'écume. Mais pour rien au monde je ne me serais levée, ne serait-ce que pour continuer à contempler seule le soleil couchant.

Je me repassais mon rêve en boucle, analysant chaque dialogue, chaque geste, chaque seconde. Je n'y trouvais aucun sens, aucun indice. Pourtant, c'était là. Je le savais. J'étais tout près du but. Comme si j'avais trouvé la porte mais pas la clé pour l'ouvrir.

Je levai les yeux vers le ciel. Son magnifique bleu était zébré d'orange et de rose, signe qu'il ne tarderait pas à faire nuit. Mais je n'avais pas envie de rentrer. Je n'avais pas envie de voir Darius et Vittoria me regarder fixement comme ils en avaient l'habitude, comme s'ils cherchaient à décrypter chacun de mes gestes, et je cherchais à éviter Adrian. Je refusais de rentrer et de répondre à leurs questions - pourquoi t'es partie d'un coup, tout à l'heure ? - je refusais qu'ils me prennent pour une fille dérangée, même si j'avais un peu l'impression de le devenir. Il fallait dire que je ne faisais pas beaucoup d'efforts pour démentir ce genre de pensées. Cela faisait près d'une demi-heure que j'étais sortie sans un mot de la salle 143, alors que les autres discutaient moitié-sérieux moitié-plaisantant. J'avais d'affreux sautes d'humeur, j'avais parfois envie de rire avec eux, et parfois envie d'être seule. Un volcan d'hormones, aurait plaisanté mon père, à ceci près que mon père n'était pas là et que l'adolescence n'était pas l'unique raison de ma mauvaise humeur.

- Hé, Sane.

Je me crispai en reconnaissant la voix. Ce n'était pas difficile, d'autant plus qu'une seule personne de ma connaissance m'appelait ainsi.

- Hé, Morris, répliquai-je.

Adrian s'assit à côté de moi.

- T'as pensé à ton manteau, remarqua-t-il. Dommage. C'était la raison de ma venue.

Un sourire traître apparut sur mes lèvres et je resserrai les pans de ma veste contre moi.

- Eh oui. Va falloir changer de tactique de drague, Morris.

- Tu n'aimais pas celle-là ? Je la trouvais à la fois classe et galante. Tout moi, en fait.

Je soufflai par le nez.

- Tu ne t'arrêtes jamais, répétai-je.

Il eut son petit rire que j'aimais bien.

- Darius me l'a déjà dit tout à l'heure.

- Qu'est-ce que tu avais encore dit ?

- Je ne sais plus. Je dis beaucoup de choses, même si la plupart ne sont pas très intéressantes.

Il se passa la main dans les cheveux.

- Comment tu as su que j'étais là, d'ailleurs ? demandai-je.

Il haussa les épaules.

- Je t'ai vue sortir du château.

Je soupirai.

- J'imagine que tu veux savoir pourquoi je suis partie.

- C'est une perche pour que je te pose la question, ou tu n'as réellement pas envie d'en parler ? répliqua-t-il.

Je restai figée quelques secondes. Il avait un sourire en coin, mais son regard était sérieux, et j'eus l'impression de recevoir un coup dans le ventre.

- Je ne me le suis pas vraiment demandé, avouai-je.

- Demande-toi juste si tu as envie que je le sache, suggéra-t-il.

Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilWhere stories live. Discover now