Chapitre 41

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Nous dûmes battre les records de vitesse en nous retournant. Vittoria se cogna dans son frère tellement sa volte-face avait été rapide. Je posai la main sur le mur de pierre pour garder mon équilibre.

Pas besoin de décrire une nouvelle fois Tepeyollotl, ses cheveux blonds décoiffés, son sourire charmeur et prédateur, ses magnifiques yeux fauves. Il était vêtu comme nous, jean noir et chemise blanche, sauf que lui ne donnait pas du tout l'air d'un lycéen en uniforme. Il paraissait si jeune pour un être immortel et dangereux. Vingt-cinq ans tout au plus.

Il a l'apparence qu'il souhaite, me rappelai-je. Ne t'y fie pas.

Puis une deuxième personne se faufila dans la pièce juste avant que la porte ne se referme entièrement, et je sentis Darius et Vittoria se raidir près de moi.

Le nouvel arrivant ressemblait comme deux gouttes d'eau au premier. Les seules différences étaient leur âge - il devait avoir huit ou neuf ans de moins -, la couleur de leurs cheveux et l'expression de leur visage. L'adolescent fixait le sol en se mordant la lèvre, et se tordait nerveusement les doigts. Puis il releva la tête, et je fus happée par ses yeux, encore et toujours les mêmes, qui allaient finir par m'hanter jusqu'à la fin de ma vie.

- Tu avais dit qu'ils se ressemblaient, murmura Vittoria à mon oreille. Je n'avais pas saisi à quel point.

La vérité, c'était que si Tepeyollotl et Adrian s'étaient promenés ensemble en pleine rue, ils auraient attiré beaucoup de regards insistants. Même deux frères, même un père et un fils, ne pouvaient se ressembler autant. On aurait dit le résultat d'une expérience, d'un clonage malsain et contre-nature, quelque chose qui me donna des frissons. Les cheveux teints d'Adrian n'y changeaient rien.

- Chez vous, répéta Darius.

Au début, je ne compris pas de quoi il parlait, puis je me souvins que Tepeyollotl nous avait déjà adressé la parole. Vous êtes chez moi.

- Vous pouvez développer ? insista Vittoria.

Ils avaient repris contenance en un quart de seconde, alors que je continuais pour ma part à fixer le dieu et Adrian comme s'ils étaient des fantômes. Je perdais le contrôle des évènements.

- Qu'y-a-t-il à développer ? demanda Tepeyollotl en s'avançant.

Adrian ne bougea pas. Je ne savais pas qu'il était possible d'être aussi immobile, comme s'il avait arrêté de respirer, comme si chaque cellule de son corps s'était crispée pour le faire devenir statue de glace.

- Nous sommes entre deux lieux, ajouta le dieu. Entre deux mondes. Pas vraiment chez les humains, pas vraiment chez les dieux.

- C'est sûr que c'est plus clair dit comme ça, railla Vittoria avec agressivité.

Je ne savais pas comment elle faisait pour avoir autant confiance en elle en un moment pareil. Nous étions quatre adolescents, enfermés dans un endroit inconnu, seuls avec un dieu dont je ne connaissais presque rien. Je ne possédais plus aucune maîtrise de ce qui se passait, et cette certitude se rappelait à moi à chaque battement de mon cœur terrifié. Qu'est-ce que j'avais fait ? Nous ne ressortirions jamais d'ici.

- Vittoria, soupira Tepeyollotl en se rapprochant encore - il n'était plus qu'à un ou deux mètres de nous. Ce n'est pas le lieu où nous sommes qui est important. C'est ce que nous allons y faire. Et nous commençons tout de suite.

- Nous commençons ? répétai-je. Il n'y a rien à commencer. C'est la fin de toute cette histoire. Vous libérez mon frère et mes parents, point final.

Pour la première fois, le dieu me regarda.

- Cassandra, dit-il, et son ton dénué d'émotions me glaça de l'intérieur.

Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilWhere stories live. Discover now