Chapitre 42

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Le pistolet était dans ma main. Du pouce, j'effleurai chaque partie de cette machine de mort, à la fois hideuse et magnifique, luisante sous la lueur des flammes.

J'entendis soudain un rugissement, semblable à celui que j'avais entendu quelques minutes auparavant, quand je pensais encore que nous parviendrions à nous en sortir. Le rugissement d'une bête sauvage, affamée et immense, cruelle et implacable, prête à tout sacrifier sur son passage pour se libérer.

- Tezcatlipoca s'impatiente, déclara Tepeyollotl. Voici la fin de la prophétie te concernant, Cassandra. Tu vas accomplir ton destin. Tu vas m'aider à détruire le monde, ainsi qu'il était écrit depuis le début.

- La prophétie disait que je devais sauver le monde, murmurai-je.

Il rit. Un rire terrifiant, le rire d'un dieu puissant et cruel. Comment quelqu'un à l'apparence si belle pouvant renfermer autant de méchanceté ? Et comment ce pistolet dans ma main pouvait être si beau, alors que son destin à lui était de tuer tout ce qui se trouvait sur son passage ?

- C'était une des deux possibilités. Tes choix t'ont menée à celle-ci. Accepte ton destin !

- Je ne peux pas faire ça, protestai-je faiblement.

- Préfères-tu l'autre option ? interrogea le dieu. J'ai juste à claquer des doigts.

Il leva la main.

- Non ! criai-je, et il s'immobilisa.

- Puisque je suis magnanime, annonça-t-il, je vous laisse vous concerter tous les quatre. Décidez vite ! Je veux un volontaire. Un sacrifice n'en est pas vraiment un si on force la main au condamné.

Je me tournai vers Darius et Vittoria, qui se tenaient collés l'un à l'autre, si fort que seule une force divine aurait pu les séparer.

- Comment on va faire ? soufflai-je.

Vittoria enfouit sa tête dans le cou de son frère, qui avala sa salive.

- Je ne sais pas, me répondit-il, un simple murmure.

Je croisai son regard, et je lus dans ses yeux tout ce qu'il ne pouvait pas dire en présence de sa sœur.

Pas elle. Surtout pas elle, Cass.

Je ne pouvais pas faire ce genre de promesses, pas quand cela le condamnait.

- Il faut l'avoir à son propre jeu, dit la voix d'Adrian à mon oreille.

- Qu'est-ce que tu racontes ? interrogeai-je.

- Il faut le coincer. Le prendre de court. Faire quelque chose qui lui ferait perdre la maîtrise des évènements.

- Tu as une idée ? demanda Darius.

Il secoua la tête, mais son regard était hésitant.

-

- Abandonne l'idée de le tuer, lui. C'est un dieu.

- Ce n'était pas ça, mon idée. Ecoutez...

- Stop ! lança Tepeyollotl en frappant dans ses mains, et nous sursautâmes en même temps. Qui est l'heureux élu qui sera sacrifié au plus puissant dieu de tous les temps ? Lui... (il désigna Darius) ou sa sœur ?

- Ne la touchez pas, lâcha Darius d'un ton menaçant.

Vittoria secoua la tête.

- Arrête, Darius, souffla-t-elle.

- Cassandra ! ordonna Tepeyollotl d'un ton brusque. Qui ?

- Je...

Ils me regardaient tous. Ils me regardaient pour savoir qui allais-je décider de tuer.

Alors j'eus une idée.

Tepeyollotl ne voulait pas que je meure. J'étais trop précieuse. Si je parvenais à lui faire croire que je me sacrifiais, peut-être qu'il perdrait ses moyens. Peut-être que nous reprendrions l'avantage. En espérant que je ne sois pas obligée d'aller jusqu'au bout pour lui prouver mes intentions.

L'idée s'était à peine formulée dans mon esprit qu'on me bouscula et qu'on m'arracha l'arme des mains. Je me retournai et la vis dans la main d'Adrian.

Peut-être un début, mais il y a très peu de chances que ça marche.

Il avait eu la même idée que moi. Il m'avait devancée.

Lentement, comme pour défier Tepeyollotl, il leva le pistolet et posa le canon contre sa tempe.

- Et si je fais ça ? lança-t-il.

Tepeyollotl resta silencieux quelques secondes, durant lesquelles je me pris à espérer que nous l'avions déstabilisé.

Puis il éclata de rire.

- Tu ne le feras pas.

Adrian serra les lèvres. Il était terrifié, ça se voyait à son regard, à sa main qui tremblait, mais dans le même temps, je découvris une facette de lui que je n'avais jamais vue auparavant. Lui, contrairement à moi, serait prêt à aller jusqu'au bout si cela pouvait donner tort à son père. Si cela pouvait nous donner une chance.

- Tu en es sûr ? demanda-t-il d'une voix maîtrisée.

Il désarma le cran de sécurité, avec une aisance qui me conduit à me demander si c'était la première fois qu'il tenait une arme entre ses mains. Sans doute que non.

Tepeyollotl sourit, le sourire attendri qu'on a quand on voit son enfant en train de faire une bêtise adorable.

- Certain.

La peur dans les yeux d'Adrian se mua en détermination. Il était prêt à le faire pour ne pas lui donner raison. Ce n'était plus pour nous qu'il faisait ça, c'était un règlement de comptes, une manière de couper l'herbe sous le pied à son père, le surprendre.

- Ne fais pas ça, dis-je sans réfléchir.

Il me regarda sans répondre.

- Enfin, Darius, dis-lui de ne pas faire ça ! m'exclamai-je puisque personne ne disait rien.

Darius avala sa salive.

- Elle a raison, finit-il par dire. Ce n'est pas comme ça qu'on va y arriver.

- Tu as une meilleure idée, peut-être ? riposta-t-il.

Si nous avions été dans un film, Darius aurait acquiescé courageusement. Il se serait avancé, aurait pris le pistolet et se serait sacrifié pour nous, sur le son d'une musique triste et sombre qui se serait interrompue par le bruit du tir.

Mais nous n'étions pas dans un film. Darius ne voulait pas mourir, il n'y avait aucune musique dans l'air, et quand retentit le bruit de tir, le canon de l'arme était contre la tempe d'Adrian.


Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilWhere stories live. Discover now