Chapitre 33

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Au rythme où allaient les choses, on allait bientôt pouvoir baptiser cette falaise « la Falaise de Cass ».

La mer était encore plus agitée que la dernière fois, elle rugissait et bondissait contre la paroi escarpée, comme si elle tentait de m'atteindre, moi, dix mètres au-dessus d'elle. L'air était frais et apportait avec lui les odeurs de la forêt derrière moi. Le soleil commençait à descendre pour disparaître derrière la mer, et je savais que bientôt, je ne pourrais plus me contenter de regarder le paysage. Je devrais décider ce que j'allais faire.

Mais pas maintenant. J'avais encore au moins une heure avant d'y réfléchir...

- Tiens, t'es là.

Je soupirai sans me retourner.

- Dis-moi, Morris, est-ce une coïncidence que tu te retrouves sans arrêt sur cette falaise en même temps que moi ?

- J'y viens aussi quand tu n'es pas là, fit-il remarquer.

Il semblait mal à l'aise, un sentiment que je ne l'avais jamais vu éprouver jusqu'alors.

Je me poussai pour lui faire une place sur la pierre et il se laissa tomber à côté de moi.

- Donc ce n'est qu'un hasard ? demandai-je.

Il hésita une seconde.

- Pas cette fois, non. Je te cherchais.

- Et pour quelle raison ?

Mes ongles s'enfonçaient dans la peau de mes poignets.

- Parce que je ne te crois pas.

Je faillis tomber de la falaise, et dans mon trouble, je me demandai vaguement s'il parviendrait à me rattraper si ça arrivait.

- A quel sujet ? marmonnai-je.

- Les négociations de tout à l'heure. Il n'a pas pu rien te dire, Sane. Tu nous prends pour des imbéciles ?

Je tressaillis. Sa voix vibrait d'une colère à peine contenue.

- Ecoute, dis-je en essayant de garder mon calme. Je ne vois pas où est le problème. Pourquoi est-ce que j'aurais menti ?

- Pour un tas de raisons. Et le pire, c'est qu'on ne peut rien prouver, puisqu'il a enlevé les micros. Pourquoi aurait-il fait ça s'il n'avait rien à cacher ?

Je me tordis les doigts, avant de m'immobiliser, de peur qu'il prenne ça pour un aveu.

- C'est un dieu, protestai-je. Je ne sais rien de ses motivations. J'ai passé dix minutes à me faire traiter d'idiote, parce que j'avais cru qu'il serait prêt à négocier. Il voulait juste me faire un... faux espoir.

Mon dieu, ça sonnait si faux dans ma bouche ! Et c'était tellement peu crédible que j'avais envie d'en pleurer. J'étais frustrée, j'étais triste, j'étais furieuse, et la seule personne dont j'avais envie - besoin - de l'approbation me traitait, non sans raison, de menteuse.

Il me regardait avec un mélange de colère et d'épuisement.

- Bon, tu sais quoi ? demanda-t-il en se relevant. Fais ce que tu veux, pourvu que tes conneries ne m'affectent pas de quelque manière que ce soit. Je m'en fous.

- Ce n'est pas l'impression que tu donnes, dis-je sans pouvoir me retenir.

- Et quelle impression est-ce que je donne, alors ? répliqua-t-il en croisant les bras.

Je me relevai et allai me planter devant lui. Je l'avais déstabilisé et je comptais profiter de ce nouvel avantage.

- Pourquoi l'as-tu vu dans tes rêves ? Qu'est-ce que tu as de spécial ?

Il recula.

- Quel rapport ?

- Aucun, affirmai-je. Ça fait juste plusieurs jours que je me pose la question, et puisque visiblement tu prônes l'honnêteté, tu te dois de me dire la vérité.

J'avais presque craché la fin de ma phrase, et je me rendis aussitôt compte que ce n'était pas la bonne technique.

Adrian Morris détestait les ordres.

- Je ne dois rien, dit-il en se détournant. Ni à moi ni à toi.

Debout sur la falaise, je le regardai s'éloigner et devenir une simple silhouette qui finit par disparaître de ma vue, puis je me laissai tomber sur le sol. Mes mains s'écorchèrent sur les cailloux, et je ramenai mes jambes contre moi.

En regardant la mer qui s'étendait devant moi, les yeux brouillés de larmes qui refusaient de couler le long de mes joues, je compris que mon choix était fait depuis longtemps.


Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant