Chapitre 51

11 2 3
                                    

Cette fois, ce fut moi qui rejoignis Adrian sur la falaise.

J'avais vu sa silhouette de loin, assise, les jambes pendant dans le vide. J'avais marché jusqu'à lui en silence, mais à quelques mètres derrière lui, je m'étais immobilisée. Je ne savais pas ce que j'allais lui dire. Pour une fois, aucune répartie, aucune réplique, aucun éclair de génie ne me venait à l'esprit.

Je finis par venir m'assoir à côté de lui en silence.

- Tu pars demain ? demandai-je au bout de quelques secondes.

Il haussa les épaules.

- Ou tout à l'heure. Ça sert à rien d'attendre.

- Tu ne crois pas Darius, j'espère. C'est pas toi qu'a fait ça à Vittoria.

Il secoua la tête.

- On aurait tous dû plus réfléchir avant de se jeter tête baissée dans son piège. On est tous responsables de toutes nos actions. J'ai appuyé sur cette foutue détente. Elle a décalé le pistolet.

Presque machinalement, je posai ma main sur la sienne et il serra mes doigts.

- J'ai quelque chose à te dire, finit-il par annoncer.

- Oui ?

- Quand je t'ai dit que Tepeyollotl m'avait mis quelque chose en moi, mais que je ne savais pas ce que c'était...

- Oui.

- Il me l'a dit.

Je me redressai.

- Quand ?

- Quand on était là-bas. Je me suis réveillé dans une chambre et il y était.

- Et donc ?

De la pointe de son pied, il donna des coups dans la pierre de la falaise.

- Tu as déjà entendu parler du tonalli ?

- Non, jamais.

- C'est l'énergie vitale d'un être vivant. Tout le monde en a un, même les dieux. Tout ce qui possède un tonalli peut être tué.

Je me décalai pour le regarder franchement.

- Où veux-tu en venir ?

- Personne ne peut se séparer de son tonalli sans mourir, excepté les dieux. C'est d'ailleurs quelque chose qu'ils font souvent, afin d'être moins vulnérables. S'ils n'ont pas leur tonalli en eux, on peut leur faire tout ce qu'on veut, mais on ne parviendra jamais à les faire disparaître. Mais pour ça, il faut un réceptacle. Quelque chose afin de stocker leur énergie vitale, en quelque sorte. Quelque chose...

- ... ou quelqu'un, terminai-je. Bien sûr.

- C'est pour ça que j'ai réussi à déclencher ce séisme. Il était bien trop puissant, bien plus que celui que j'ai créé chez moi, quand je n'avais pas encore le tonalli. Je crois que... enfin, que j'ai son énergie vitale en moi, Cass.

- Mais pourquoi a-t-il fait ça ? Tu n'es pas moins vulnérable que lui, au contraire...

Il passa sa main libre sur sa nuque.

- Je sais pas. Il a refusé de me le dire.

Je soupirai.

- Cette histoire devient franchement compliquée.

Il acquiesça en silence et nous restâmes à regarder la mer, en dessous de nous, enfermés dans nos pensées.

- Comment tu vas faire ? demandai-je.

- Aucune idée. Je vais retourner là où j'étais allé pendant ma fugue. J'ai réussi à tenir deux mois, ça devrait le faire.

- Ne fais pas de bêtises.

- Non.

- Je suis sérieuse, insistai-je.

- Moi aussi, répliqua-t-il.

Il me pressa les doigts, puis me lâcha et se leva. Je l'imitai.

- Où tu vas ?

- Je ferais mieux d'y aller maintenant.

Il gardait les yeux baissés.

- Ça sert à rien d'attendre encore, à part à faire mal.

- D'accord, d'accord. Tu n'emmènes rien ?

- Que veux-tu que j'emmène ?

Je croisai les bras. Je n'arrivai pas à croire ce que je m'apprêtais à dire.

- Mon numéro, histoire que j'aie de tes nouvelles ?

Il sourit tristement.

- Tu veux ?

- Oui.

- D'accord.

Je le lui donnai, puis il glissa son portable dans sa poche et me regarda sans un mot.

- Tu vas me manquer, finis-je par dire.

- Toi aussi.

De façon naturelle, nous nous retrouvâmes dans les bras l'un de l'autre et il me serra fort. Je posai ma tête sur son torse. Est-ce que c'était mal, de ressentir ce genre de sentiment pour quelqu'un après la mort d'un autre ?

Cette fois, ce fut lui qui m'embrassa, longtemps. Puis je me retrouvai seule sur la falaise, à regarder sa silhouette rétrécir puis disparaître derrière les arbres.


Nahui Ollin - Le Cinquième SoleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant